Ces conseillers qui ont poussé Sarkozy à lancer le débat sur l’islam et la laïcité
Derrière les prises de position publiques se joue une lutte idéologique entre les stratèges du chef de l’Etat.
Entre les deux conseillers de l’intérieur – Claude Guéant et Henri Guaino – et les deux de l’extérieur – Pierre Giacometti et Patrick Buisson – , qui a pesé le plus sur la décision de Nicolas Sarkozy de lancer ce débat ?
Condamné unanimement à gauche, le débat sur l’islam voulu par le président de la République et organisé par l’UMP n’en finit pas de diviser à droite.
Depuis qu’il a été annoncé, pas un jour ne passe sans que des ténors de la majorité – y compris au gouvernement – émettent des réserves ou expriment leur opposition pure et simple au principe de ce débat, invoquant les risques de stigmatisation de la communauté musulmane.
Signe de l’embarras dans lequel se trouve la majorité, le patron de l’UMP, Jean-François Copé, assure désormais qu’il ne s’agit pas d’un débat sur l’islam mais d’un débat sur la "laïcité" et l’organisation d’un "islam de France". Mercredi, il a réaffirmé que ce débat aurait "bien lieu" comme prévu à l’occasion d’une convention UMP, le 5 avril à Paris, et donnerait lieu à une série de "propositions très concrètes".
Que Nicolas Sarkozy lance un débat aussi "clivant" en a surpris plus d’un, après les dérapages de celui sur l’identité nationale, fin 2009, et la séquence sécuritaire de l’été 2010. D’autant que si ces séquences ont permis à Nicolas Sarkozy de conforter son socle électoral, elles ne lui ont pas permis de gagner des voix au centre-droit, ni de faire remonter sa cote de popularité, comme l’a expliqué au Post, Frédéric Dabi, de l’Ifop.
1. Deux camps en Sarkozye : les modérés et les "droitiers"
Deux camps s’affrontent actuellement pour définir la stratégie que doit adopter Nicolas Sarkozy à 14 mois de la présidentielle.
Pour l’aile modérée de la majorité, ce débat peut se révéler contre-productif pour Nicolas Sarkozy s’il n’est pas cadré et donne lieu à des dérapages.
C’est notamment ce que craignent le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, le Président du Sénat Gérard Larcher, celui de l’Assemblée Bernard Accoyer, le centriste Dominique Paillé ou encore les anciennes ministres Rama Yade et Rachida Dati. Même le Premier ministre François Fillon a émis des réserves sur ce débat, lundi sur RTL, avant de le juger finalement "nécessaire" le lendemain.
Dans ce camp, on pense que le Président court le risque d’être piégé par la présidente du Front national, Marine Le Pen -qui s’envole dans les sondages- en légitimant ses thématiques.
De l’autre côté, on retrouve les partisans d’une ligne plus à droite. Outre Jean-François Copé, on retrouve la frange la plus radicale de l’UMP, incarnée notamment par le secrétaire d’Etat, Thierry Mariani. Dans une interview au Post, il voit ce débat comme "une opération nécessaire" car, selon lui, la majorité doit apporter des réponses quant à "l’espace dévolu à la laïcité et celui accordé à la pratique de l’islam". L’ex-ministre de l’Immigration Éric Besson, devenu ministre de l’Industrie, se réjouit aussi de voir revenir à l’ordre du jour des sujets qui rappellent le débat sur l’identité nationale qu’il avait lancé.
Pour eux, le Président court le risque d’être devancé par Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle s’il lui laisse le champ libre sur des thématiques comme l’immigration ou la sécurité. Deux domaines qui font partie des "marqueurs" du sarkozysme et sur lesquels leur champion s’était appuyé pour l’emporter en 2007.
Dans le camp des "droitiers", on veut refaire en 2012 le coup de la précédente présidentielle : siphonner les voix des électeurs du FN pour se retrouver avec le plus haut score possible au premier tour, afin d’enclencher une dynamique qui permette de l’emporter au second. L’objectif : attirer dans le filet de Nicolas Sarkozy ces électeurs à la frontière entre l’UMP et le FN, qui seraient entre 5 et 7 % de l’électorat, selon le politologue Roland Cayrol.
Les partisans de cette ligne dure se réjouissent du lancement de ce débat sur l’islam et la laïcité. Mais ce ne sont pas forcément eux qui ont le plus peser sur la décision de Nicolas Sarkozy…
2. "Patrick Buisson est le principal inspirateur de ce débat sur l’islam"
Qui sont ces hommes qui influencent et forgent la pensée du Président ? Quel est celui qui a le plus pesé sur la décision du chef de l’Etat de lancer ce débat ?
"C’est Patrick Buisson", assure au Post un haut responsable de la majorité, sous couvert de l’anonymat. "Il a dû convertir une ou deux personnes à l’Elysée, qui ont dû convaincre le Président."
"Patrick Buisson est le principal inspirateur de ce débat sur l’islam", affirme un ministre, toujours en off, au Post.
Ancien journaliste venu de l’extrême droite, Patrick Buisson est aujourd’hui directeur général de la chaîne Histoire. Il est surtout politologue et un des conseillers en stratégie de Nicolas Sarkozy. Présenté par Le Monde en octobre 2008 comme "l’hémisphère droit de Sarkozy", il a bâti une partie de la campagne présidentielle et est aujourd’hui l’un des hommes les plus écoutés par le Président.
Dans une interview à L’Express -une des rares qu’il a accordées- Patrick Buisson définit son rôle ainsi : "Faire vivre et prospérer le lien direct que Nicolas Sarkozy a établi avec les Français, notamment avec les catégories populaires, lors de la campagne présidentielle".
Avec lui, "la droite dure est entrée à l’Elysée", résume Télérama. Il a convaincu le candidat Sarkozy qu’il devait siphonner les voix du FN, en 2007 et lui a appris les techniques à employer pour séduire les électeurs frontistes. Jean-Marie Le Pen, qui aurait "bien aimé l’avoir comme conseiller", explique à l’hebdo : "Il a donné à Sarkozy les mots, les codes, le langage qu’il faut employer vis-à-vis des électeurs du Front national."
Toujours convaincu aujourd’hui qu’une présidentielle se gagne à droite, Patrick Buisson a persuadé Nicolas Sarkozy de se rendre au Puy-en-Velay (Haute-Loire), jeudi, un haut lieu du catholicisme, selon Le Figaro. Début janvier, il a proposé dans une note détaillée un repositionnement du chef de l’État sur une nouvelle longueur d’onde: celle de l’histoire contre l’actualité, explique le journal.
Selon le quotidien, Patrick Buisson est convaincu que Nicolas Sarkozy doit visiter des lieux historiques et symboliques, notamment pour se démarquer de Dominique Strauss-Kahn, "bloqué" à Washington, et empiéter sur le FN.
Selon le politologue Stéphane Rozès (Cpa), dans l’entourage du chef de l’Etat, "deux lignes s’opposent: une ligne républicaine représentée par Henri Guaino et une ligne nationaliste, représentée par Patrick Buisson". Mais pour le moment, "dans la droite ligne du discours de Grenoble, c’est la ligne nationaliste qui l’emporte", analyse-t-il.
Libération confirme qu’une bataille interne se joue jusque dans l’entourage du chef de l’Etat, entre les deux conseillers Henri Guaino et Patrick Buisson.
3. "Sarkozy est très marqué par le 21 avril 2002"
A la tête de sa société Publifact, Patrick Buisson est l’un des deux conseillers "extérieurs" du Président. L’autre, c’est Pierre Giacometti (photo), ancien directeur général d’Ipsos passé à son propre compte.
Chargé lui aussi de décrypter les phénomènes d’opinion pour le Président, Pierre Giacometti a également poussé Nicolas Sarkozy à lancer ce débat. "Mais un débat sur la laïcité et la République, et pas sur l’islam", indique-t-on au Post dans l’entourage de Nicolas Sarkozy. "Un débat marqué du sceau de l’équilibre, du respect et de la tolérance", qui "ne vise pas à stigmatiser l’islam".
Le "traumatisme" du 21 avril 2002 a convaincu le chef de l’Etat de lancer ce débat sur la laïcité. "Il est très marqué par ce qui s’est passé [l’élimination de Jospin par Le Pen, au premier tour de la présidentielle, ndlr] et pense que c’est une erreur de ne pas vouloir débattre de certains sujets. Pour lui, le PS a échoué en 2002 à cause d’une forme de déni de la société française. Son raisonnement, c’est qu’il faut agir sur ces sujets, sans tabou, pour ne pas revivre le 21 avril 2002", explique un conseiller de l’Elysée, au Post. "Nicolas Sarkozy se dit qu’il ne faut pas avoir de tabou, sinon, d’autres en profitent."
"Le Président est convaincu que les partis de gouvernement ont la responsabilité de réfléchir au modèle d’intégration et à la place de la religion dans la société française. Il pense que le problème de l’intégration a été sous-estimé pendant trop d’années et est obsédé par la recherche d’un équilibre sur ce sujet", confie ce proche du chef de l’Etat. Avant de préciser que Nicolas Sarkozy "ne veut pas se laisser emporter par la polémique", laissant l’UMP "organiser le débat partisan".
"Et avant de décider de lancer ce débat, Nicolas Sarkozy n’a pas choisi la ligne d’un conseiller ou d’un autre", assure-t-on au Post à l’Elysée.
"Il est conscient de ce qu’il doit faire et a une grande part d’autonomie dans ses prises de décision. Il écoute les points de vue de chacun, notamment Claude Guéant, Henri Guaino, Patrick Buisson et Pierre Giacometti. Ils jouent un rôle dans la construction de sa décision, qui relève d’un subtil équilibre entre tout ce qui lui est dit."
Pour bien comprendre la pensée du Président sur la religion et la laïcité, l’Elysée renvoit vers le discours du Président lors de ses voeux aux autorités religieuses, à l’Elysée, le 7 janvier dernier.
Qu’on se le dise : jusqu’à la présidentielle, Nicolas Sarkozy semble déterminé à jouer sur un registre droitier. Lundi, devant des députés UMP, il a lancé : "Je serai offensif pendant la campagne, pour le moment je suis un président rassembleur et protecteur."
Sources : Le Post, Le Figaro, Télérama : Patrick Buisson, conseiller très à droite du Président, Le Monde : L’hémisphère droit de Sarkozy (en zone abonné), Rue 89, L’Express.fr, Liberation.fr