Benjamin Stora: la « force du symbole » dans la définition de la politique maghrébine de la France
Benjamin Stora, historien et spécialiste des guerre de décolonisation et de l’histoire de l’immigration maghrébine en Europe, a estimé que la définition de la politique maghrébine de la France ne « signifie pas une volonté de la France de se substituer à la politique intérieure de chacun des Etats ».
L’historien a toutefois noté que la définition de la politique d’un Etat "se fait toujours par rapport à ses intérêts économiques ou à ses intérêts propres" . "Je ne connais pas un Etat qui ne fonctionne pas en raison de ses intérêts", a-t-il poursuivi, avant d’ajouter qu’il doit peut-être exister un "Etat vertueux, idéal qui n’a aucun problème avec ses frontières, aucun problème politique ou économique, qui place la question des droits de l’homme au sommet de ses priorités".
Selon M. Stora, "Nous sommes dans une situation difficile de double crise : crise européenne d’un côté et crise de redéfinition du lien national dans les pays du Maghreb". Dans cette double crise, a-t-il poursuivi, il faut réfléchir aussi à un "symbole fort" pour redéfinir la relation France-Maghreb et abattre ce "mur de Berlin" qui interdit la libre circulation d’une rive à l’autre.
Pour cela, selon Benjamin Stora, un "travail académique, historique, universitaire et journalistique, doit être accompli, aujourd’hui, en France pour aider à définir une politique maghrébine".
Ne serai-ce, a-t-il dit, qu’en terme de "symbole historique". "C’est important les signaux que la France peut adresser à ses partenaires du Maghreb. Ces signaux passent aussi par l’histoire, le vécu et l’imaginaire. C’est un ressort essentiel et s’il est mis de côté, nous ne pourrons pas définir une politique maghrébine de la France". "Ce sont les signaux symboliques qui définissent le politique".
M. Stora a également rappelé l’importance de la prise en compte du changement profond que connaissent actuellement les sociétés maghrébines, notamment, sur les plans de la question de l’amazighité et de la montée de l’islam politique. "Le rapport au religieux a changé et il faut le prendre en compte", a-t-il ajouté.
Pour Khadija Mohsen-Finan, spécialiste du Maghreb, la France souffre d’une "mauvaise connaissance du Maghreb qui a évolué, d’où sa surprise" au lendemain du soulèvement en Tunisie puis en Libye.
Selon elle, la diplomatie de la France est "marquée par l’économie". Une manière, estime Mme Mohsen-Finan, d’éviter les sujets qui fâchent", allusion à sa position d’ancien colonisateur.
Quant à la question du Sahara qui bloque l’intégration maghrébine, "C’est un point de cristallisation entre les deux grands pays du Maghreb, le Maroc et l’Algérie", ajoutant que la France adopte sur cette question "les lignes rouges du Maroc et de l’Algérie".
A ce propos, le sociologue algérien, Nadji Safir, a dit ne pas s’attendre à court terme à des "changements significatifs" de la part d’Alger concernant la question du Sahara ni à des évolutions de ce dossier. Tout comme il ne croit pas à des "changements fondamentaux en Algérie" à cour terme aussi.
"L’Algérie se caractérise aujourd’hui comme un pays dans lequel fonctionne une économie rentière et dans lequel il y a un consensus rentier très fort autour d’un système politique qu’on peut difficilement imaginer s’ébranler sur le court terme".
Selon ce sociologue, si les changements issus des Printemps arabes n’ont pas affectés l’Algérie, "c’est que le pays a des caractéristiques particulières liées à son histoire récente , la crise des années 80, mais aussi à une politique de redistribution de la rente pétrolière qui a aidé à calmer les revendications".
Mais, tempère Nadji Safir, "L’Algérie est une société dynamique". "La preuve est qu’actuellement il y un certain nombre de mouvements sociaux assez importants, soit de la part des jeunes sans emploi, soit de la part des jeunes qui ont un emploi mais qui contestent leurs conditions précaires", a relevé le sociologue.