Sortie du documentaire « Nos mères, nos daronnes » : La ville de Bobigny rend hommage à ses citoyennes
« Nos mères, les daronnes » donne la parole à Rahma, Sabrina, Yamina, Habiba, Zineb et Aline. A travers le parcours de ces femmes, de cultures et de religions différentes, ce documentaire propose un autre regard sur celles qui n’apparaissent pas souvent à l’image en les rendant un peu plus lisibles.
Par Fouzia Benyoub
A l’origine de ce documentaire généreux, Bouchera Azzouz, militante féministe et écrivaine. Elle a voulu lever le voile et montrer le sens de ce qu’elle défend depuis toujours « le Féminisme populaire »
« Une femme, un combat » l’équation est toute simple dans l’esprit de Bouchera. Pour faire avancer l’égalité, le féminisme engagé ne peut avancer et gagner la cause des droits sans l’apport du féminisme populaire. C’est dans leur combat que ces femmes ont conquis leur indépendance et leur émancipation. Et c’est dans leurs témoignages qu’on arrive à comprendre la réalité des quartiers populaires et l’apport de l’immigration.
Dès la première séquence du documentaire, nous sommes invités à prendre le périphérique nord-est de Paris pour arriver à la cité de l’Amitié à Bobigny dans le 93.
Pourquoi Bobigny ? C’est le quartier où a grandi Bouchera Azzouz et a forgé ses convictions. C’est là où sa mère Rahma a mené son combat de vie. D’abord pour élever ses dix enfants, dont deux fillettes placées chez elle par la Ddass et qui font entièrement partie de la famille. Puis, couturière et assistante maternelle, Rahma a accueilli chez elle durant 40 ans, une soixantaine d’enfants, de jeunes et mères célibataires avec leurs bébés, tous placés par les services sociaux de Bobigny. Aujourd’hui, retraitée, âgée de 75 ans, elle se consacre à sa passion la peinture et l’action sociale dans l’oriental marocain, d’où elle est originaire.
Rahma se passionne pour les couleurs et réalise des peintures. Elle s’invente des symboles et peint à partir de sa propre expérience. Refaire son monde et raconter des tranches de vie, un acte spontané, qui jaillit du fond du cœur. Les tableaux de Rahma racontent la vie et comme la vie, ils sont difficiles à définir.
Et puis, Il y a un événement qui a marqué Bouchera Azzouz. Il s’est déroulé au tribunal de Bobigny le 8 novembre 1972. Il s’agit d’un procès historique qui a connu une mobilisation forte, celui où Gisèle Halimi a obtenu l’acquittement de Marie- Claire, une fille de 17 ans, jugée pour avoir avorté à la suite d’un viol.
Nous sommes dans les années 70, en plein débats sur l’avortement. La France se déchire sur le sujet. Le 26 novembre 1974 Simone Veil prononce son discours devant l’assemblée nationale, dans un climat très tendu : «Je voudrais vous faire partager une conviction de femmes. Je m’excuse de le faire devant une Assemblée constituée quasi exclusivement d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement.»
Même si cet épisode historique n’est pas évoqué ouvertement dans le film, il constitue néanmoins un arrière plan de choix des réalisatrices. Dès le premier échange entre les daronnes, nous voilà donc plongés dans l’intimité de ces femmes. Chacune raconte comment elle a vécu l’avortement, la maitrise des grossesses, la douleur et la solitude. Avec des mots simples, elles décrivent leur souffrance et se rappellent de la charge émotionnelle engendrée par le vécu.
Et même si ces femmes n’étaient pas présentes dans les manifestations, elles étaient fortement concernées par la réalité des avortements clandestins. Elles témoignent, chacune séparément, de leur appartenance à la société d’origine et à la société d’accueil. Elles évoquent l’exil, la solitude, la vie dans le bidonville, la relation avec l’époux, le mariage, l’éducation des enfants, la séparation, le divorce, le travail, l’attachement à leur quartier, la solidarité, le vivre-ensemble, la citoyenneté.
« C’est en marge des grandes luttes féministes du siècle dernier que ces femmes issues de l’immigration et habitant dans les quartiers populaires ont inventé à leur manière la liberté. Comment s’affranchir des chaînes qui les ligotent depuis leur naissance. Nous découvrons leurs luttes, leurs vies, leurs désillusions et leurs rêves » note Marion Stalens.
Qui sont-elles ? Plutôt « femmes des deux rives». Par leurs parcours, elles se sont affranchies du statut de « femmes immigrées ». Elles sont arrivées en France à la fin des années 60 et début des années 70. Elles ont eu une vie professionnelle et se sentent parfaitement intégrées.
Zineb Doufikar, assistance sociale qui a retrouvé les bancs de l’école à l’âge de 26 ans, a élevé seule ses deux garçons. Son parcours de femme battante et déterminée pour la cause des femmes et des « Chibanis » témoigne de son engagement associatif très fort.
Sabrina, cette ouvrière, si belle et coquette qui continue à travailler et si fière de son entreprise et son parcours de femme libre et rebelle.
Habiba, commerçante à la retraite, aimant la vie et savoure joyeusement l’instant présent.
Yamina, la femme culture qui croque les livres et goute avec raffinement le verbe.
Aline, l’institutrice de la cité de l’Amitié, qui a vu grandir les enfants et accompagné les mères les daronnes dans l’éducation de leur progéniture. Présente dans le documentaire pour rappeler le rôle central de l’école publique dans la réussite d’un parcours scolaire.
Nous voilà chez les « daronnes ». Ces mères courage, appelées ainsi dans les quartiers populaires, sur qui tout repose. Une amitié s’est construite au fil du temps entre ces femmes. Raconter ces vies, construites en France, loin du pays natal, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie, c’est rendre un hommage à nos mères, nos daronnes.
Le film:
« Nos mères, nos daronnes » était en avant première samedi 7 mars 2015 au Magic Cinéma de Bobigny, sera diffusé sur France 2 courant d’avril 2015 et attendu dans des festivals en France et à l’étranger.
2015- Documentaire – Durée : 52 min Auteures : Bouchera AZZOUZ et Marion STALENS –