Deux tiers de l’échec scolaire imputables aux élèves d’origine immigrée ? La preuve que les enfants d’immigrés ne parviennent pas à s’intégrer ? La phrase a été reçue avec un mélange d’indignation et d’incrédulité dans le monde de l’éducation : d’où vient ce chiffre ? Réponse du ministère de l’Intérieur : «Tout simplement du rapport de 2010 du Haut Conseil à l’intégration (HCI) sur les défis de l’intégration à l’école», a répondu un porte-parole du ministère, cité par l’AFP. C’est donc tout simplement que nous avons ouvert ce rapport. Où rien ne confirme cette statistique. Certes, les enfants d’immigrés connaissent des parcours scolaires plus complexes que les autres. On y lit qu’en fin de troisième, 40% d’entre eux parviennent en seconde générale et technologique sans avoir redoublé au collège contre la moitié pour les autres élèves. Ou encore que sept ans après leur entrée au collège, 27% des enfants d’immigré préparent un baccalauréat général (contre 40% pour les non-immigrés). Pour autant, rien ne valide la statistique au doigt mouillé de Guéant. Mais surtout, le rapport apporte une nuance essentielle : bien davantage que l’origine des élèves et les facteurs culturels, c’est la profession et le niveau d’étude des parents qui déterminent les difficultés scolaires : «Si l’on compare les résultats scolaires des enfants d’immigrés à sexe, structure, taille de la famille, diplôme, activité et catégorie socioprofessionnelle des parents comparables avec les élèves non immigrés, leur moindre réussite scolaire s’atténue fortement.
Les risques de redoublement à l’école primaire, comme les écarts de performance aux épreuves d’évaluation sont plus ténus.» Mieux, à milieu équivalent, les élèves d’origine immigrée réussissent parfois mieux que leurs camarades «Français d’origine» : «Dans l’enseignement secondaire, à situation sociale, familiale et scolaire comparables, les enfants d’immigrés atteignent plus fréquemment une seconde générale et technologique, obtiennent plus souvent le bac général et technologique sans avoir redoublé et sortent moins souvent sans qualifications que les enfants de personnes non immigrées.» Le HCI donne cette explication dont Claude Guéant devrait se nourrir pour nuancer sa sombre vision de l’immigration : «Les ambitions scolaires des parents immigrés sont en effet plus fortes que celles des parents non immigrés.»
Cette conclusion n’a rien d’une surprise, plusieurs études en ayant apporté la preuve depuis une quinzaine d’années. En 2009, dans une publication de l’Ined, Yael Brinbaum et Annick Kieffer, se basant sur un panel d’élèves entrés en sixième en 1995, ont confirmé la prégnence des facteurs sociaux dans l’échec scolaire des enfants d’origine immigrée, ainsi que les plus fortes attentes de ces populations vis-à-vis de l’école. De quoi torpiller les sous-entendus de Claude Guéant. Hélas, le Haut Conseil à l’intégration n’a pas jugé utile de rappeler ces évidences, hier. Contraint de réagir à la polémique, le conseil (qui dépend de Matignon) a volé au secours du ministre de l’Intérieur dans un communiqué. Choisissant avec soin certains passages de son rapport, le HCI a confirmé les difficultés scolaires des enfants d’immigrés, mais a oublié de reprendre les paragraphes imputant largement ces «échecs» à l’origine sociale de ces élèves. De l’art de caviarder ses propres travaux pour ne pas brouiller le message du gouvernement.
«Les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés.»