La ministre des Droits des femmes avait affiché en juin dernier sa volonté "de voir la prostitution disparaître", dans un entretien au Journal du Dimanche, sans évoquer les moyens de la mise en oeuvre d’une telle disposition. A la veille de son déplacement en Suède, l’entourage de la ministre a précisé à Sipa que la pénalisation des clients n’était qu’une des options étudiées, mais elle suscite déjà des réactions très contrastées en France.
En Suède, Mme Vallaud-Belkacem "ne va certainement que rencontrer ceux à l’origine et ceux qui défendent la loi, pas les femmes qui ont dû en subir les conséquences", a réagi auprès de Sipa Morgane Merteuil, secrétaire générale du STRASS (Syndicat du travail sexuel), qui évoque des "rapports scientifiques catastrophiques sur les conséquences humanitaires" et une "minorité fondamentaliste qui défend la criminalisation". "Officiellement, ça pénalise le client, mais on s’en fout. En premier lieu, ça pénalise les travailleuses du sexe", a-t-elle résumé.
"Le premier point le plus tangible, c’est la diminution des trafiquants qui exploitent la prostitution" en Suède, a au contraire défendu auprès de Sipa Grégoire Théry, secrétaire national du Mouvement du Nid. "Quand on s’attaque à la demande, on baisse la rentabilité" de ces réseaux, même s’il reconnaît que ces réseaux de proxénètes ont pu s’installer ailleurs. Grégoire Théry demande ainsi une harmonisation des législations européennes.
Le nombre de prostitués aurait baissé de 40% en Suède
La loi suédoise punit d’amende et jusqu’à six mois d’emprisonnement ceux reconnus coupables d’avoir payé pour des services sexuels. Selon la police suédoise, le nombre de prostituées a baissé de 40% entre 1998 et 2003.
"Le gouvernement suédois a assuré la promotion de sa loi", analyse Lilian Mathieu, chercheur au CNRS. "C’est difficile de savoir (quels en sont les résultats, NDLR), car la politique a été évaluée par ses propres promoteurs". Il a dénoncé l’"idée un peu simpliste que si on attaque à la demande, l’offre va se tarir automatiquement", se demandant si la prostitution "va disparaître ou simplement se déplacer, vers des zones plus discrètes?". "Que l’on s’attaque à l’offre ou à la demande, c’est la présence dans l’espace public qui est visé", a-t-il estimé à Sipa.
Depuis 2003, en France, le délit de racolage passif, visant à "inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération" est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende". Une proposition de loi du groupe EELV visant à abroger cette loi doit être présentée le 21 novembre prochain au Sénat.
"La position abolitionniste de la France"
En cas d’abrogation, une loi pourrait alors pénaliser les clients. Déjà, en décembre 2011, une résolution votée à l’Assemblée nationale "réaffirm(ait) la position abolitionniste de la France, dont l’objectif est, à terme, une société sans prostitution" et les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, avaient déposé une proposition de loi "visant à responsabiliser les clients de la prostitution et à renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme".
Les Français ne sont pas convaincus par un tel procédé. Un sondage Grazia/Harris révélait en juin dernier que seuls 46% des Français pensaient que "la loi devrait (…) sanctionner le client qui a recours à une prestation sexuelle tarifée".
Aujourd’hui, l’entourage de Mme Vallaud-Belkacem dit vouloir surtout protéger les "victimes des réseaux", qui ne sont pas audibles dans le débat. En avril 2011, un rapport d’information du député Guy Geoffroy révélait que, en 2010, la part des personnes étrangères sur l’ensemble des prostituées en France était estimée à 91%, "majoritairement sous l’emprise de réseaux étrangers de traite et d’exploitation sexuelle".
"La plupart des femmes veulent continuer car c’est une activité plus rémunératrice", a répondu Lilian Mathieu, même la majorité des femmes étrangères "qui n’ont pas d’espoir économique dans leur pays" mais qui peuvent effectivement avoir des dettes à rembourser à des passeurs pour arriver en France. Il a regretté qu’on "considère les femmes uniquement comme passives, on décide ce qui est bon pour elles" et donc les expulser, parlant d’"enjeu sécuritaire".