Vol AF447 Rio-Paris: le rapport qui sème le doute

Un rapport d’enquête auquel le journal français «Libération» a eu accès pointe de possibles problèmes de maintenance sur les sondes de vitesse au cœur des investigations. Sans en faire toutefois la cause de l’accident.

Vol AF447 Rio-Paris: le rapport qui sème le doute
On connaissait le rôle probable joué par les sondes Pitot dans le crash du vol AF 447 qui a fait 228 morts le 1er juin 2009. Mais l’on savait moins que des problèmes de maintenance pourraient aussi être en cause.

C’est l’information nouvelle dévoilée par le rapport préliminaire des experts judiciaires sur cette catastrophe qui vient d’être remis aux juges d’instruction parisiens Sylvia Zimmermann et Yan Daurelle, en charge de l’information judiciaire pour «homicides involontaires». Pour réaliser ce document, dont Libération a eu connaissance en exclusivité, les cinq experts ont mené une cinquantaine d’auditions, de réunions et d’analyses. Un rapport définitif est attendu pour le mois de décembre.

Déjà, en décembre 2009, le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) avait pointé du doigt les sondes Pitot, sans tirer de conclusion. Cette fois, les experts confirment : le givrage de ces sondes qui mesurent la vitesse de l’avion est bien «un élément contributif» du crash, mais il n’est «pas possible pour l’instant» d’identifier «avec précision les faits qui ont conduit à l’accident». Ils doivent donc continuer leur enquête.

Les Pitot et la météo Les deux seules certitudes

Ce sont les deux «signatures probables» identifiées par les experts après analyse des 15 incidents de sondes survenus avant le crash sur la flotte d’Air France. Sur la route du Rio-Paris se trouvait un amas de cumulonimbus certes pas exceptionnel dans cette zone, mais néanmoins «actif et massif», avec présence probable de turbulences et de cristaux de glace. Ces cristaux ont sans doute obstrué le tube d’entrée d’air des sondes. Cette défaillance «a généré une cascade de mal fonctions ayant dégradé les conditions de conduite de l’appareil». En clair, les pilotes ont dû gérer de nombreuses alarmes et pannes de système, de nuit, dans des conditions météo pas idéales et sans savoir à quelle vitesse ils volaient. «La situation ainsi dégradée peut être retenue comme élément contributif», concluent les experts. Ils se montrent toutefois très prudents, puisqu’il n’y a pas de «similitude parfaite» entre les messages de pannes envoyés par l’AF447 et ceux des incidents recensés auparavant.

L’Airbus A330 était équipé de sondes de type AA fabriquées par le français Thales. Elles ont été interdites après le crash par l’Agence européenne de sécurité aérienne, qui a exigé leur remplacement par un modèle de l’américain Goodrich. Les experts ont mené sur les différents modèles de Pitot des tests de résistance à l’ingestion d’eau. Les résultats montrent bien une moindre efficacité des Thales AA. Les experts n’ont toutefois pas encore pu réaliser les tests de résistance aux cristaux de glace.

Le nettoyage des sondes L’élément nouveau

Dans le rapport des experts judiciaires, c’est la seule piste nouvelle. Ils ont prélevé 9 sondes Thales AA parmi les 84 saisies chez Air France par la justice. Certaines présentaient un aspect extérieur «moyennement» ou «très dégradé». Sans surprise, les sondes usées se sont révélées les moins performantes lors des tests.

Les experts estiment que cela «pourrait» être «lié au temps (heures de vol et/ou durée calendaire) écoulé depuis le dernier entretien des sondes». En clair, les Pitot pourraient ne pas avoir été nettoyées assez souvent.

Seul problème : Air France n’a pas assuré «la traçabilité» des sondes, ce qui empêche d’«identifier les avions sur lesquels elles étaient installées».

Les experts vont tout de même tenter d’y parvenir, afin de savoir si les avions équipés de Pitot usées sont ceux qui ont connu des incidents avant le crash. Si cette piste est confirmée, cela pourrait remettre en question les règles établies par Airbus et les autorités françaises, qui imposent l’entretien des sondes tous les vingt et un mois. Suite à des incidents de givrage sur des avions Bombardier, le Canada, lui, a décidé en 2008 de réduire ce délai à 600 heures de vol, soit environ quatre mois.

Les questions en suspens L’erreur de pilotage et le givrage

Les experts ne croient pas que les sondes et la météo soient les seules causes. «La recherche d’autres éléments probants est nécessaire», concluent-ils. Ils souhaitent comprendre pourquoi l’AF447 s’est abîmé alors que d’autres appareils ont subi des incidents Pitot sans dommages.

S’agit-t-il d’une erreur de pilotage ? En l’absence des boîtes noires, il sera très difficile de répondre.

L’autre inconnue porte sur les incidents de givrage des sondes. Pourquoi sont-ils apparus «soudainement et avec une forte occurrence à partir du 15 mai 2008» sur les longs courriers Air France ? La compagnie, Airbus et les autorités aériennes ont-ils apporté les réponses appropriées lorsqu’ils en ont eu connaissance ? Cette question n’est abordée que brièvement dans le rapport, qui note que l’analyse du phénomène «à la date de l’accident n’avait pas permis de conclusion définitive». Les experts ajoutent que «la réponse technique [d’Airbus] consistait en la proposition d’un changement de type de sonde Pitot (AA vers BA) et la réponse opérationnelle d’Air France consistait en un rappel à la vigilance [à ses pilotes]».

Les suites judiciaires Une longue procédure à venir

Il semble peu probable que les juges procèdent à des mises en examen sur la seule foi de ce rapport préliminaire. «Ce sera difficile», estime un avocat. Il faudrait en effet identifier une «faute» ainsi qu’un lien de «causalité» net entre les sondes et l’accident. Les experts ne diagnostiquent ni l’un ni l’autre.

Les parties civiles ont désormais un mois et demi pour faire part de leurs observations. Ils peuvent aussi réorienter l’enquête en demandant aux juges de nouveaux actes (expertises, auditions, etc.). La bataille sera longue.

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