Le Maroc vient d’organiser avec succès la COP22. Quel est le degré de votre optimisme quant à l’atteinte des objectifs souscrits lors de cette conférence planétaire ?
Le Comité économique et social européen était présent à la COP22 pour faire entendre notre message en faveur d’une transition juste, rapide et ambitieuse vers une économie à faible teneur en carbone, conforme aux objectifs du développement durable des Nations Unies.
Notre Comité, qui travaille de façon très étroite avec le Conseil économique, social et environnemental du Maroc, promeut l’idée de partenariats multi-acteurs et multi-niveaux afin d’accélérer et de rendre massives les initiatives climatiques. Cette montée en puissance rapide de l’action climatique est une condition indispensable si nous voulons contenir, comme le prévoit l’accord de Paris, le réchauffement climatique bien en-deçà de 2°C et si possible à 1,5°C.
La COP22 a été un moment de concrétisation des engagements de la COP21. Soyons clairs : nous sommes arrivés à un point d’urgence absolue. Ces engagements sont une base de départ, nécessaire mais insuffisante : les remplir intégralement nous place sur une trajectoire à plus de 3°C et nous projette dans l’inconnu. Selon le programme des Nations Unies pour l’environnement, qui reflète un consensus des scientifiques, l’immobilisme pendant seulement quelques années de plus compromet notre capacité à contenir le réchauffement climatique à 1,5°C. La dynamique positive qui a permis à l’accord de Paris de voir le jour doit se poursuivre et s’amplifier. Elle doit vaincre à la fois le climato-scepticisme et le climato-fatalisme. Elle doit se traduire par une révision continue, à la hausse; des ambitions des États et des acteurs non-étatiques, notamment dans la perspective de la COP24 de 2018, où un premier bilan sera fait.
Quel regard portez-vous sur les réalisations accomplies par le Maroc et ses efforts dans le domaine de l’environnement et particulièrement les énergies renouvelables ?
À plus d’un titre, le Maroc a opéré des revirements spectaculaires dans ses politiques publiques, qui montrent bien que le développement durable est non seulement possible mais aussi profitable pour les pays en développement. Plusieurs exemples frappants me viennent à l’esprit : le Maroc était autrefois l’un des plus gros utilisateurs au monde de sacs en plastique et il les a complétement proscrits depuis cet été. Dans le domaine du climat et de l’énergie, les engagements du Maroc (52 % de production électrique couverte par les renouvelables d’ici 2030, réduction de 32 % des émissions globales par rapport à un scénario tendanciel) ont été essentiels pour le succès de la COP21.
Les subventions aux énergies fossiles, qui représentaient encore 5,5 % du PIB national il y a quelques années, ont radicalement décru. La centrale solaire thermodynamique NOOR de Ouarzazate, résultat d’un partenariat euro-marocain fort, est un projet structurant qui va permettre au Maroc de réduire son empreinte carbone tout en augmentant son indépendance énergétique et en créant des emplois. Tout cela montre que la transition est en marche.
Par ailleurs, le Maroc investit massivement dans l’adaptation au changement climatique, en la reliant à l’agriculture, avec une forte ambition africaine. Ceci est extrêmement prometteur et profondément cohérent avec les objectifs du développement durable. Enfin, il est capital que les flux financiers destinés aux pays les moins responsables du changement climatique soient à la hauteur des attentes et suffisamment faciles d’accès pour avoir un impact aussi tôt que possible.
Quel pourrait être le rôle de la société civile dans l’amélioration des relations entre l’Union européenne et le Maroc ?
Le rôle le plus important de la société civile est de partager son expertise et son savoir, en s’efforçant de faire en sorte que les décideurs politiques en tiennent compte. Il faut que les relations entre l’Union européenne et le Maroc bénéficient à tous les citoyens de manière égale et il est crucial que les organisations de la société civile soient intégrées dans le dialogue entre les deux pays, par exemple sur les questions liées aux migrations, à la mobilité ou encore sur les accords commerciaux. Ce sont des acteurs indispensables si on veut trouver des solutions justes et inclusives.
Pour qu’un dialogue fructueux s’installe, il est important que les organisations de la société civile aient la liberté et les moyens de se réunir et de s’exprimer. Dans les pays des deux rives de la Méditerranée on assiste, ces dernières années, à une certaine réduction de l’espace accordé aux organisations de la société civile. Il est donc important que, dans les relations entre l’Union européenne et le Maroc, la société civile appelle les autorités à garantir ces libertés: tous les acteurs concernés par les politiques qui relèvent de ces relations doivent non seulement pouvoir exprimer leur point de vue mais aussi participer au suivi et à l’application de ces politiques, d’autant plus que si les politiques ne bénéficient pas d’une implication pratique de la société civile, elles sont vouées à l’échec.
Pour que le partage d’expertise puisse se réaliser, il est important que la société civile du Maroc et celle de l’Union européenne aient des échanges réguliers. Je salue le travail du Conseil économique, social et environnemental et, comme je le fais en Europe, tant au niveau de l’ensemble de l’Union qu’au niveau de chaque pays, j’encourage le gouvernement et le parlement marocains non seulement à faire pleinement usage de l’expertise du conseil économique et social dont le Maroc s’est doté, mais aussi à mettre explicitement en évidence, à l’intention de la presse et des citoyens, les cas dans lesquels les avis du Conseil ont été suivis.
Propos recueillis par Adil Zaari Jabiri (MAP)