Recherche: l’Assemblée nationale examine le projet de loi dans un climat de défiance
Les députés entament lundi l’examen du projet de loi sur la recherche, que le gouvernement présente comme un « investissement inédit », mais que conteste une large part de la communauté universitaire, dans un climat de rentrée délicat.
L’intersyndicale de l’enseignement supérieur et de la recherche appelle ainsi à se « rassembler massivement » à 14h devant le Palais Bourbon contre un texte qui « institutionnalise la précarisation du personnel », à ses yeux.
Un discours rigoureusement inverse de celui de la ministre de la Recherche Frédérique Vidal, qui revendique un effort « historique » de 25 milliards d’euros sur 10 ans et « le plus grand plan de revalorisation des personnels depuis plusieurs décennies ».
Maintes fois reporté, ce projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) repose sur un constat partagé. La France souffre d’un « déficit croissant d’investissement » dans sa recherche et les « carrières scientifiques attirent de moins en moins les étudiants », relève-t-il dans son introduction.
« Nous arrivons à un point de bascule où le risque de décrochage devient réel face à des pays comme la Chine, la Corée, l’Allemagne et les pays anglo-saxons qui demeurent dominants », a insisté Frédérique Vidal en commission.
Pour « réarmer » la recherche, le gouvernement propose donc de réinjecter 25 milliards d’euros par étape, en montant en charge: 400 millions en 2021, 800 millions en 2022, 1,2 milliard en 2023… Avec l’objectif, en 2030, d’un budget annuel de 20 milliards d’euros par an, soit 5 milliards de plus qu’actuellement.
Cela doit permettre au budget de la seule recherche publique d’atteindre 1% du PIB, niveau auquel le pays s’était engagé il y a 20 ans. Une part importante vise à revaloriser les carrières des chercheurs pour les rendre plus attractives. Et plus de 5.000 emplois de chercheurs seront créés.
Mais pour les opposants au texte, c’est une « réforme en trompe l’oeil », puisque le gouvernement fait peser l’essentiel de l’effort sur les quinquennats suivants et ne peut « garantir » que 400 millions de plus l’an prochain, soit un effort supplémentaire moindre que celui consenti dans le budget 2020 (+500 M EUR).
« C’est sans compter sur l’effet de levier énorme du plan de relance », répond la rapporteure générale du texte, la députée LREM Danièle Hérin, ancienne présidente de l’université Montpellier 2.
Au-delà du budget, c’est la philosophie même du texte qui est décriée et sa mesure phare visant à distribuer les nouveaux financements principalement par appels à projets, en renflouant l’Agence nationale de la recherche (ANR) à hauteur d’un milliard d’euros.
« Attirer d’autres profils »
Pour les syndicats, cela se fera au détriment des financements pérennes, dits « de base ». Et cela pousserait vers une recherche « compétitive et sélective », en nuisant à la liberté académique.
Autre point majeur de crispation, la mise en place de voies de recrutements parallèles. Le texte prévoit des nouveaux « parcours de titularisation » à l’américaine (« tenure tracks »), pour accéder à une titularisation au bout de six ans maximum, ainsi que des « CDI de mission scientifique », censés remplacer les CDD à répétition, mais prenant fin avec le projet de recherche auquel ils sont associés.
Les opposants au texte craignent un système à « deux vitesses » et une « remise en cause des statuts », pour plus de « précarité ».
Selon la co-rapporteure LREM Valérie Gomez-Bassac, il n’y a toutefois « aucune intention de diminuer le nombre de fonctionnaires ou fragiliser la fonction publique. Ce que nous voulons, c’est attirer d’autres compétences et d’autres profils », notamment des jeunes femmes, quand l’âge moyen du recrutement d’un maître de conférences est de 34 ans.
Depuis janvier, syndicats et collectifs du monde universitaire ont multiplié les actions et envoyé plusieurs milliers de personnes dans la rue début mars.
Mais le confinement a porté un gros coup d’arrêt à cette mobilisation. Tout comme la rentrée universitaire délicate, toujours sous la menace du Covid-19, après six mois de fermeture des universités.
En commission, les députés ont donné un premier feu vert dans une ambiance globalement apaisée. Mais ce devrait être plus électrique dans l’hémicycle, où la gauche entend relayer l’inquiétude des syndicats. Le groupe socialiste compte par exemple présenter mardi un « contre-projet » qui « reconstruit entièrement » le texte.