Ouverture des archives sur le pape Pie XII: quatre clefs pour comprendre
L’ouverture lundi des archives vaticanes sur le pontificat du pape Pie XII (1939-1958) était réclamée depuis des décennies par historiens et organisations juives.
Un total de 120 fonds et séries d’archives deviennent accessibles, divisés en 20.000 unités, représentant des millions de pages. De quoi occuper des historiens pendant une vingtaine d’années.
Voici quatre clefs pour comprendre l’événement:
– Shoah: des archives déjà publiées
Les archives de la Seconde Guerre mondiale ont déjà été en grande partie publiées par le Vatican, mais les chercheurs auront un accès direct à un nombre encore plus grand de documents. Les archives de l’après-guerre sont inédites.
Pour répondre à la polémique sur Pie XII, qui démarra après sa mort dans les années 1960, quatre prêtres jésuites livrèrent en 1981, au bout de 16 ans de labeur, onze volumes de documents.
Une commission mixte juive-catholique de six historiens instituée en 1999 fut chargée de trancher, mais elle réclama plus d’accès aux archives du Vatican.
– Attentes prudentes des chercheurs
Suzanne Brown-Fleming, directrice des programmes internationaux au Musée du mémorial de l’Holocauste à Washington et auteure de « L’Holocauste et la Conscience catholique »: « Il nous paraît imprudent de faire des suppositions, dans un sens comme dans un autre, sur ce qu’on pourrait trouver, surtout quand on sait qu’on parle de 16 millions de pages dans une douzaine de langues. Et les parties des archives les plus intéressantes sont souvent dans des dossiers inattendus, comme un dossier étiqueté +Divers+ ».
Philippe Chenaux, professeur d’histoire de l’Eglise moderne et contemporaine à l’université pontificale du Latran à Rome, biographe de Pie XII: « Il n’est pas sûr que l’ouverture des fonds du Vatican soit de nature à mettre fin à la controverse sur les +silences+ de Pie XII ».
« L’apport majeur de la documentation mise à disposition concerne l’après-guerre, ou si l’on préfère, la Guerre froide marquée par l’antagonisme entre l’Occident chrétien et le grand Satan soviétique. La fin des années 40 et 50 représentaient jusqu’ici l’angle mort de l’histoire du pontificat ».
– L’Eglise défend un « juste »
L’Eglise fait valoir que Pie XII a contribué au sauvetage de plusieurs milliers de Juifs en les faisant cacher dans des institutions religieuses de Rome sous l’occupation allemande. Elle estime que la prudence verbale du pape a évité des représailles envers les catholiques en Europe.
Le processus de béatification de Pie XII a été ouvert en 1967. Benoît XVI l’a proclamé « vénérable » fin 2009, une première étape, mais une décision qui suscita aussi un tollé au sein des organisations juives.
En 2010, Benoît XVI affirma que Pie XII avait été « l’un des grands justes, qui a sauvé des juifs plus que personne ». « Il a personnellement souffert énormément, nous le savons. Il savait qu’il devait parler et pourtant la situation le lui interdisait », avait-il noté.
En 2014, le pape François a dit avoir « un peu d’urticaire existentiel » face aux attaques contre Pie XII, « un grand défenseur des Juifs », en critiquant les puissances alliées qui auraient pu bombarder les voies ferrées conduisant aux camps. Mais il n’a pas accéléré le processus de béatification pour autant.
– Ses détracteurs attaquent son silence
Pie XII, voix morale potentiellement écoutée par les catholiques allemands, est vilipendé pour n’avoir jamais condamné explicitement l’extermination en cours des Juifs par les Nazis.
Ce pape originaire de la noblesse romaine, soucieux de préserver la capitale italienne des bombardements, est aussi dénoncé pour avoir gardé le silence lorsque le 16 octobre 1943 plus d’un millier de personnes de la communauté juive de Rome furent raflés.
Les témoignages confirment que des Juifs furent ensuite cachés dans de nombreuses institutions catholiques, mais aucun document écrit ne prouve que Pie XII l’avait recommandé.
Beaucoup de chercheurs concluent que ce pape réprouvait l’antisémitisme hitlérien, mais qu’il était aussi un pur produit d’un enseignement catholique anti-judaïque jusqu’à la prise de conscience du Concile Vatican II (1962-1965). Les Juifs n’étaient donc pas la priorité de ce pape, préoccupé d’abord par le sort des catholiques et farouchement opposé au communisme.