France: à Trappes, le danger salafiste dans le viseur des autorités

Repli communautaire, pratique ostentatoire, défiance vis-à-vis de la République: à Trappes, comme ailleurs en France, les autorités s’inquiètent de la montée du salafisme, courant rigoriste de l’islam, considéré comme une porte d’entrée vers le jihadisme.

Le footballeur Nicolas Anelka et le comédien Jamel Debbouze ont beau être des enfants de la ville, Trappes, enclave pauvre à 30 km à l’ouest de Paris, a rarement eu bonne réputation. Avant, les fléaux se nommaient drogue et délinquance. Aujourd’hui, c’est l’islam radical qui inquiète la police et les services de renseignement.

Même si la ville a été le théâtre de la première émeute religieuse en 2013, ce n’est pas un ghetto coupé du pays qui s’offre aux regards, la pression de l’islam radical sur la vie de la communauté s’exerce de façon progressive et souterraine: scolarité, consommation d’alcool, installations sportives…

D’après une source anti-terroriste, une cinquantaine de personnes passées par la filière de Trappes sont parties combattre en Irak et en Syrie. Le maire socialiste Guy Malandain confirme, dans un entretien à l’AFP, le départ de 40 à 50 Trappistes, dont un jeune animateur de la mairie auprès d’enfants.

Cette vague de départs a érigé Trappes en symbole d’un nouveau "malaise français" dans un pays frappé par une série sanglante d’attentats jihadistes. La ville, ancien bastion communiste, s’est fortement développée dans les années 1960 pour accueillir la main d’oeuvre maghrébine venue travailler dans l’industrie automobile.

Comme d’autres banlieues, elle souffre aujourd’hui d’un sentiment de déclassement sur fond de chômage galopant (20%) et d’un communautarisme qui, pour une minorité, a conduit vers l’intégrisme islamiste.

Ibrahim Ayres a monté la première librairie islamique du département, juste en face de la mairie. Ce converti à la longue barbe blanche, qui reçoit en qamis traditionnel, a assisté à la montée du salafisme, "manière gentille de nommer le wahhabisme" saoudien, une "idéologie mortifère", dit-il.

"Quand les mamans ont vu leurs enfants revenir vers la pratique religieuse, c’était un soulagement. Les musulmans n’ont pas vu le +truc+ venir, il y a eu un manque de vigilance", raconte cet ancien éducateur sportif de 51 ans.

Tous les terroristes sont salafistes

Le salafisme, qui prône une lecture littérale du Coran, est pointé du doigt après chaque nouvel attentat en France. "Tous les salafistes ne sont pas terroristes mais tous les terroristes sont salafistes", a martelé l’ancien Premier ministre Emmanuel Valls.

Le mouvement reste très minoritaire en France. Mais il a "le vent en poupe, notamment chez les jeunes de quartier, et va continuer à se développer s’il n’y a pas une offre pour le concurrencer", souligne l’islamologue Rachid Benzine, natif de Trappes.

Selon une note des services de renseignement, le nombre de pratiquants du salafisme, un courant "difficilement adaptable au mode de vie occidental", est passé de 5.000 en 2004 à entre 30.000 et 50.000 aujourd’hui, sur une population estimée de près de 6 millions de musulmans en France.

A Trappes, "une minorité de musulmans adhère à cette idéologie", avance Ibrahim Ayres, qui se targue d’avoir lui-même dissuadé cinq jeunes candidats au jihad.

"Qu’il y ait un certain nombre d’acteurs de l’esprit salafiste à Trappes, bien sûr. Il n’y a pas que des saints ici. Mais nous n’avons aucune association qui soit dominée ou conduite par" des salafistes, assure le maire Guy Malandain.

"Indiciblement, progressivement", l’islam radical "devient la normalité" à Trappes, relate pourtant un policier qui garde un "souvenir traumatisant" du siège du commissariat par 200 fondamentalistes portant "la haine dans les yeux".

C’était en 2013 lorsque, après le contrôle d’identité mouvementé d’une femme intégralement voilée, la ville s’était embrasée plusieurs nuits lors des premières émeutes urbaines d’origine religieuse en France.

"Une minorité adhère aux idées fondamentalistes. Mais cette minorité n’est pas anecdotique et le problème, c’est qu’elle progresse. Il y a une fracture qui est en train de se creuser. Avant on ne se rendait pas compte du phénomène. Et aujourd’hui tout le monde a l’air tétanisé", s’émeut Othman Nasrou, chef de la droite municipale.

Pourtant Trappes ne correspond pas au stéréotype de la cité-ghetto. Dans le quartier des Merisiers, où réside la majorité de la communauté musulmane, un programme de rénovation urbaine à plus de 300 millions d’euros a permis de remplacer des tours par des immeubles à taille humaine et des squares verdoyants.

Dans le bar de la place du marché, le gérant Allal assure ne pas connaître les fondamentalistes. En revanche, il affirme avoir "multiplié le chiffre d’affaires par quatre" depuis que son bar a arrêté la vente d’alcool en 2015.

Dans la ville aux cinq mosquées, les boucheries sont désormais toutes hallal. Sur le marché, une majorité de femmes portent le voile. Selon un rapport confidentiel émanant d’une source judiciaire en 2016, près de 80 familles préfèrent l’enseignement à domicile pour leurs enfants à la fréquentation de l’école de la République.

"Il y a une volonté de marquer sa vie sociale par son appartenance religieuse", constate le maire.

Il y a quelques années, un groupe de 200 femmes musulmanes est venu lui demander, en vain, des créneaux horaires réservés à la piscine. Récemment encore, il a dû intervenir pour faire cesser l’appel à la prière au haut-parleur à la mosquée gérée par l’Union des musulmans de Trappes.

L’association, réputée proche des Frères musulmans, n’a pas souhaité répondre aux questions de l’AFP, pas plus que les fidèles devant le lieu de culte.

Ces sujets sont éminemment sensibles dans un pays très attaché à la laïcité. La France ne produit ainsi aucune statistique officielle sur la croyance de ses citoyens. Le maire de Trappes affirme que 25 à 30% de la population de sa ville est musulmane. Une source judiciaire locale estime que le chiffre est bien plus élevé, entre "60 et 70%".

"Ce qui m’embête, c’est la montée d’un discours de repli identitaire", souligne Othman Nasrou, "surpris par la proportion de jeunes qui disaient que c’était bien fait pour Charlie Hebdo", l’hebdomadaire satirique frappé par un attentat en 2015 après avoir caricaturé Mahomet.

Il dénonce "l’omerta" qui règne à Trappes sur le sujet et accuse certains élus de faire preuve de "clientélisme".

Le maire réfute ces accusations mais dit être "insuffisamment puissant" face à l’ampleur du défi. Il réclame une "clarification" urgente à l’Etat, alors que le président Emmanuel Macron doit prochainement présenter son plan sur la relation avec le culte musulman. "Si on ne met pas en valeur les partisans d’un islam tempéré, européanisé, on aura de grandes difficultés", prévient le maire.

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