Décret-loi sur la désinformation en Tunisie : la classe politique dénonce une « dérive autoritaire »
Un décret qui, loin de surprendre, a suscité néanmoins une vague de désapprobation dans la mesure où le texte en question prévoit des peines de prison à l’encontre des personnes divulguant de présumées fausses informations.
Selon les observateurs, le décret-loi, publié le 16 septembre relatif aux infractions aux systèmes d’information et de communication, est un « nouvel épisode dans le musellement des libertés et de toute voix discordante ».
Dès sa publication, journalistes, société civile et internautes ont crié au scandale, considérant le texte comme moyen utilisé par le pouvoir pour instrumentaliser, museler la presse ou faire taire les voix dissidentes.
Pour ceux qui suivent l’évolution de la situation politique et des libertés en Tunisie, cet épisode n’est pas isolé : il renseigne fort sur une volonté délibérée des pouvoirs de rétrécir le champ des libertés.
D’ailleurs, plusieurs ONG locales et internationales ne cessent d’alerter sur le « recul » des libertés en Tunisie et la propension du président de mettre à mal le processus démocratique amorcé le 14 janvier 2011. Le Syndicat national des journalistes tunisiens a été le premier à réagir et à dénoncer ce « décret-loi liberticide ».
La réaction de son président Mehdi Jlassi a été sans équivoque : « Nous refusons ce genre de mesures, car elles visent à restreindre la liberté de la presse et d’expression. La justice et les peines de prison vont servir à poursuivre ceux qui auront une opinion différente ou divergente à celle du président de la République ».
Pour lui, au-delà des journalistes, c’est toute la société qui est désormais menacée d’être muselée : « Toute personne qui donnera un avis, une opinion. Même quelqu’un qui se livrera à une simple analyse, si cela ne plaît pas au pouvoir, il tombera sous le coup de cette loi. N’importe qui est désormais susceptible d’être arrêté. Tout le monde est menacé par ce texte ».
Les appréhensions des journalistes sont fondées sur des faits réels. Depuis juillet 2021, les arrestations et les intimidations des journalistes n’ont fait que se multiplier, souvent pour des raisons futiles.
La dernière en date a été l’arrestation musclée par la police du journaliste Ghassen Ben Khelifa, rédacteur du site « Al Inhiez », dont le dossier a été transféré au pôle judiciaire de lutte antiterroriste. Il a été libéré 5 jours après sans que la justice ne présente aucune information à ce sujet.
Au regard de ces graves évolutions, le syndicat des journalistes, les organisations de la société civile et les partis politiques dénoncent la poursuite de l’oppression. Dans son dernier rapport publié en mai dernier, le Syndicat national des journalistes (SNJT) a alerté sur des « menaces sérieuses » pesant sur la liberté de la presse dans le pays.
Plusieurs forces politiques et sociales tunisiennes rejettent les mesures d’après 25 juillet 2011, qu’elles considèrent comme étant une consécration d’un pouvoir absolu et individuel.
Le décret-loi relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication publié dans le Journal officiel le 16 septembre 2022, s’inscrit parfaitement dans cette optique.
Il vient fixer les dispositions ayant pour objectif la prévention des infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication et leur répression, ainsi que celles relatives à la collecte des preuves électroniques y afférentes. Sans chercher à remédier aux causes profondes qui sont parfois à l’origine des fausses nouvelles, le nouveau dispositif se caractérise par son aspect répressif.
Le décret introduit une peine de prison de cinq ans et une lourde amende pour toute personne répandant des « fausses informations » ou des « rumeurs » en ligne. Il prévoit en outre une peine de prison de cinq ans et une amende de 50.000 dinars tunisiens (15.500 euros) pour toute personne « qui utilise délibérément les réseaux de communication et les systèmes d’information pour produire, promouvoir, publier ou envoyer des fausses informations ou des rumeurs mensongères ».
Le décret vise les personnes qui répandent de telles intox afin de « porter atteinte aux droits d’autrui, à l’ordre public, à la défense nationale ou pour semer la panique au sein de la population ». La peine prévue est « doublée » en cas d’intox visant des responsables de l’Etat.