Découverte de deux nouveaux dinosaures au Maroc : trois questions au paléontologue Nour-Eddine Jalil
Dans une entrevue à la MAP, Nour-Eddine Jalil, paléontologue marocain du Muséum d’histoire naturelle, nous livre une partie de l’histoire de ces dinosaures ayant vécu il y a de cela 66 millions d’années.
1- Parlez-nous de manière ample de votre découverte ? Il s’agit bien de deux nouveaux types de dinosaures ?
Il s’agit bien de deux nouveaux dinosaures. Leurs restes, des os des membres postérieurs, ont été trouvés dans deux endroits différents du Bassin des Ouled Adboun (Khouribga).
Leur étude a montré qu’ils appartiennent à deux dinosaures carnivores distincts (deux espèces différentes) et de tailles différentes. Ces restes sont d’une part un os du pied, un métatarsien, trouvé à « Sidi Daoui » et d’autre part un os de la jambe, un tibia, trouvé dans la région de « Sidi Chennane ».
Le métatarsien de Sidi Daoui correspond à un petit dinosaure, long d’environ 2,5 m alors que le tibia est attribué à un dinosaure de taille moyenne d’environ 5m de long.
De temps en temps, on trouve des fossiles d’animaux terrestres, qui ont vécu sur le continent, c’est le cas des deux nouveaux dinosaures. On suppose qu’il s’agit de restes d’animaux qui vivaient sur le continent et dont les cadavres ont été transportés par des rivières jusqu’à la mer où ils se sont fossilisés, on parle de « cadavres flottés ».
Les connaissances actuelles sur les derniers dinosaures africains, juste avant la crise qui a entraîné leur disparition, nous viennent des sédiments des phosphates.
Ce qui nous ramène à une particularité des phosphates et qui leur donne une importance remarquable, c’est qu’ils documentent une période clé de l’histoire de la vie sur Terre, celle de la transition entre deux ères géologiques, d’une part le Mésozoïque, ou l’ère des reptiles vers le Cénozoïque ou l’ère des mammifères.
2- Quelles sont les caractéristiques de ces nouvelles espèces ?
Les nouveaux dinosaures trouvés dans les phosphates des Ouled Abdoun sont des carnivores ou Théropodes et ils appartiennent à une famille nommée les abélisauridés. Ils ont vécu à la même période, au Maastrichtien, que le célèbre Tyrannosaurus rex.
Quand les tyrannosaures régnaient en Amérique du Nord et en Asie, les abélisauridés dominaient les écosystèmes terrestres des continents du Sud.
Leurs restes se trouvent en abondance en Amérique du Sud, en Afrique, en Inde et à Madagascar. Comme les tyrannosaures, les abélisauridés étaient au sommet des chaînes alimentaires et avaient dans leurs écosystèmes le rôle de mégaprédateurs. Comme tous les théropodes abélisauridés, ils étaient bipèdes, c’est-à-dire marchant sur leurs deux membres postérieurs et avaient des membres antérieurs, l’équivalent de nos mains, très réduits, et munis de quatre doigts.
Même si les fossiles étudiés, un métatarsien et tibia, sont insuffisants pour créer deux espèces nouvelles avec des noms qui leurs sont propres, il n’en demeure pas moins que ces fossiles ont des caractéristiques morphologiques supportant l’hypothèse qu’il s’agit de deux nouveaux dinosaures dans les phosphates du Maroc, portant à 5 le nombre de dinosaures décrits dans les phosphates avec Chenanisaurus barbaricus, un autre dinosaure carnivore abélisaure de 7-8 m de long, un dinosaure herbivore du groupe des sauropodes et Ajnabia odysseus, un dinosaures à bec de canard.
3- Qu’en est-il de la recherche paléontologique au Maroc ? Y a-t-il encore des pistes inexplorées ?
Le Maroc est souvent appelé le « paradis des géologues ». Les immenses affleurements sédimentaires marocains, offrent en effet l’opportunité unique de suivre l’évolution de la paléobiodiversité au cours des temps géologiques, des anciennes mers précambriennes aux écosystèmes terrestres néogènes, depuis l’époque géologique où la vie était unicellulaire jusqu’à des époques proches de nous qui ont livré les restes des plus anciens représentants de notre propre espèce découvert à Jbel Irhoud.
Beaucoup reste à découvrir, de quoi nourrir la curiosité et les projets de recherches de plusieurs générations de paléontologues. Les fossiles qui restent à découvrir peuvent constituer les plus riches des collections paléontologiques et illustrer les plus belles des expositions paléontologiques.