Dans toute la France, de nombreux "gilets jaunes" expriment leur solidarité avec les victimes de l’attentat perpétré sur le marché de Noël de Strasbourg (nord-est) mais restent déterminés à faire entendre leur colère, dans la rue ou sur les ronds-points.
Le mouvement est "parti pour un acte V (une cinquième journée de manifestation, NDLR), en plus important même", affirme Thierry Marre, coordinateur des "gilets jaunes" à Istres (sud-est), qui juge "très peu probable" que l’attaque entraîne la suspension de la mobilisation. "Je ne pense pas qu’on reculera".
Même détermination à Marseille (sud-est) même si l’on reconnaît que le drame strasbourgeois ne peut être ignoré. "Nous verrons ce qui se passe, nous ne sommes pas des abrutis. Mais en l’état actuel des choses, nous sommes toujours partis pour un acte V", assure sous couvert de l’anonymat une coordinatrice locale.
Les annonces du président Emmanuel Macron lundi – comme la hausse de 100 euros par mois pour les salariés payés au salaire minimum – n’ont semble-t-il pas suffi à éteindre la colère des "gilets jaunes", pas plus que les appels du gouvernement à observer une pause au lendemain de l’attaque, qui a fait deux morts et plusieurs blessés graves.
Mercredi matin, le secrétaire d’État à l’Intérieur Laurent Nuñez en a appelé à la "responsabilité générale", en disant "espérer qu’il y aura moins de manifestations" samedi en France de "gilets jaunes".
"Une trêve s’impose, par respect en la mémoire des victimes, et parce que nos forces de l’ordre sont mobilisées", a abondé un des responsable du parti de droite les Républicains, Damien Abad.
Malgré l’activation de "l’urgence attentat" – plus haut niveau du plan de lutte contre le terrorisme Vigipirate -, les manifestations ne devraient pas être interdites ce weekend.
"Le mouvement doit cesser", a toutefois insisté la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, s’attirant aussitôt une réplique indignée de la députée de gauche Clémentine Autain, qui a accusé le gouvernement d’"instrumentaliser l’événement dramatique" de Strasbourg.
"Ce n’est pas à nous de dire si un mouvement doit cesser ou pas", a tranché le porte-parole de la présidence, Benjamin Griveaux.
Après l’attaque du marché de Noël, de légers tiraillements traversent toutefois ce mouvement lancé le 17 novembre contre la hausse des prix du carburant avant de s’étendre à une dénonciation plus générale de la baisse du pouvoir d’achat et de la politique gouvernementale.
A Strasbourg, "il faut que tout le monde stoppe au vu des événements", reconnaît Patrick, un "gilet jaune" local, appelant à suspendre provisoirement la mobilisation. "On fait profil bas jusqu’à ce weekend".
Le mouvement, sans leader ni idéologie, doit aussi faire face à la propagation par certains de thèses complotistes selon lesquelles l’attaque de Strasbourg serait un "coup monté" du gouvernement français destiné à éclipser la mobilisation.
Sur Facebook, plusieurs commentaires postés sur des groupes de "gilets jaunes" dénoncent ainsi un "soi-disant attentat". "Un mec a sans doute dégénéré (…) dans les rues de Strasbourg et le gouvernement fait passer ça pour un attentat", écrit un internaute.
En réaction, le groupe Facebook La France en colère, qui compte parmi ses membres certains initiateurs du mouvement, a suspendu mardi soir ses commentaires en évoquant une "situation particulière".
Patrick, le "gilet jaune" strasbourgeois, ne peut lui-même réprimer quelques doutes. "C’est bizarre, c’est un coup monté. On avait prévu de bloquer le Parlement européen (…) et comme par hasard ça a pété" mardi soir, dit-il.
A l’Assemblée nationale, un député de la région, Bruno Studer, a fustigé, d’une voix tremblante, ceux qui "crient au complot". "Ceux-là, dans le confort indécent de leur anonymat sur les réseaux sociaux (…) nous devons le dire, ceux-là font preuve d’indignité", a dénoncé M. Studer.
Le leader du parti de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon a demandé lui aussi de "ne colporter aucune rumeur" et "d’obéir aux consignes qui nous sont données par les autorités pour faciliter la capture de l’assassin".
"Ils sont une minorité à propager ces théories du complot", souligne un spécialiste des réseaux sociaux, Fabrice Epelboin, "la majorité appelle justement cette minorité à se calmer".