Présidentielle américaine: Le retour du protectionnisme hante les esprits des milieux économiques canadiens
L’intérêt des Canadiens pour l’élection présidentielle américaine n’est pas un fait nouveau, mais le scrutin du 5 novembre aux Etats-Unies a certainement amplifié l’attention de l’opinion publique et des milieux d’affaires en raison de l’importance des relations et des échanges commerciaux entre les deux pays.
L’élection présidentielle américaine est, en effet, scrutée de près au Canada. Environ sept Canadiens sur dix s’intéressent à ce scrutin, indique Sébastien Dallaire, vice-président exécutif de la société canadienne de sondage Léger.
« C’est la première fois que de nombreux Canadiens suivent cette campagne et ont le sentiment qu’elle est non seulement polarisante, mais aura un impact plus direct sur les relations canado-américaines que toute autre élection », relève, de son côté, John Parisella, ancien délégué général du Québec à New York.
Une communauté qui pourrait faire la différence
Dans une élection présidentielle aussi serrée, les 700.000 électeurs américains résidant au Canada pourraient déterminer le sort du scrutin, avancent des observateurs.
Alors que les sondages montrent que l’ancien président Donald Trump et sa rivale démocrate Kamala Harris sont au coude-à-coude, les deux partis tentent de courtiser la communauté américaine établie chez le voisin du nord et se focalisent, à cet égard, sur les États clés du Michigan, de la Pennsylvanie et du Wisconsin. Ces États sont proches du Canada et comptent une proportion plus élevée de résidents vivant de l’autre côté de la frontière que les autres États clés.
Le Canada et les États-Unis partagent la plus longue frontière du monde, par laquelle ont transité quotidiennement des marchandises et des services d’une valeur de 3,6 milliards de dollars en 2023. La plupart des marchandises transitant entre les deux pays sont couvertes par un accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. En outre, 400.000 personnes traversent chaque jour la frontière pour affaires, tourisme ou pour voir leurs familles et leurs amis.
Le spectre du protectionnisme
Les milieux économiques canadiens ne gardent pas un bon souvenir du passage de Donald Trump à la Maison Blanche. En effet, le leader républicain avait alors imposé de lourds tarifs sur l’aluminium et l’acier canadiens.
En outre, les négociations houleuses qui ont débuté en 2017 pour renégocier l’accord de libre-échange nord-américain avaient grandement nui aux relations entre les deux pays.
La vice-présidente américaine Kamala Harris a également annoncé une renégociation de l’accord si elle est élue. Harris était d’ailleurs parmi les 10 sénateurs qui ont voté contre l’accord commercial actualisé entre le Canada, les États-Unis et le Mexique parce qu’elle réclamait davantage de protections environnementales.
« Si l’on examine les politiques de Trump et de Harris à l’approche de cette élection, en ce qui concerne le commerce, ils sont tous deux protectionnistes – l’une avec des subventions, l’autre avec des tarifs douaniers », note Stephen Laskowski, président de l’Association de camionnage de l’Ontario.
Les inquiétudes des milieux économiques canadiens portent non seulement sur l’impact d’éventuels nouveaux tarifs douaniers mais aussi sur la hausse des niveaux d’endettement et des taux d’intérêt américains. En effet, la réalisation des promesses électorales des deux candidats risquent d’alourdir davantage la dette fédérale américaine.
Selon les observateurs, l’élection de Kamala Harris signifierait probablement la poursuite du statu quo, tandis qu’un retour de Donald Trump pourrait entraîner le retour de tarifs généralisés sur les exportations vers les États-Unis.
Même une victoire démocrate à la présidence, à la Chambre des représentants et au Sénat « ne serait pas très différente d’un point de vue politique », notent les économistes du conglomérat financier canadien Desjardins dans un rapport publié récemment.
Les économistes canadiens relèvent toutefois que les deux pays ont eu également des différends commerciaux importants, notamment sur les tarifs douaniers sur le bois d’œuvre canadien, lors de la présidence de Biden.
En cas d’imposition de tarifs plus élevés sur les exportations vers les États-Unis, le PIB canadien pourrait baisser jusqu’à 1,7% d’ici la fin de 2028, par rapport à une victoire de Harris, ont écrit les économistes de Desjardins.
Le dollar canadien se négocie déjà à des niveaux relativement bas et une croissance économique canadienne morose pourrait affaiblir davantage la monnaie locale, la poussant même sous la barre des 70 cents, poursuivant ainsi la tendance à la baisse des dernières années.
« Les élections américaines pourraient avoir un impact majeur sur la volatilité des marchés et sur la performance du dollar américain et du dollar canadien », a affirmé Shaun Osborne, stratège en chef des devises à la banque canadienne Scotia.
Les milieux économiques canadiens craignent aussi une éventuelle période d’incertitude avec un résultat électoral incertain qui aura des implications déstabilisatrices pour les marchés financiers.
Certains analystes canadiens espèrent surtout une impasse politique en faisant en sorte que la Maison-Blanche, le Sénat et la Chambre des représentants ne soient pas contrôlés par le même parti.
« Ce serait la meilleure solution pour que personne ne puisse faire passer ses idées, peut-être téméraires, et que tous les politiciens puissent se concentrer sur ce qui compte vraiment, à savoir la croissance de l’économie américaine », résume Barry Schwartz, directeur des investissements chez Baskin Wealth Management à Toronto.