Reprise mardi du procès-fleuve du Mediator, interrompu par la crise sanitaire
Interrompu en raison de la crise du coronavirus, le procès-fleuve du scandale sanitaire du Mediator, un médicament des laboratoires Servier tenu pour responsable de centaines de morts, reprend mardi devant le tribunal correctionnel de Paris.
Ouvert le 23 septembre, le procès avait été suspendu le 16 mars, à moins de sept semaines de son terme.
L’audience reprend à 10H00 avec l’examen d’au moins une demande de renvoi en lien avec le contexte épidémique.
Onze personnes morales et douze personnes physiques – âgées toutes de plus de 65 ans – comparaissent devant le tribunal. Quelque 2.600 victimes, avec ou sans séquelles corporelles, s’étaient constituées parties civiles avant l’ouverture des débats.
La salle a été réaménagée avec un siège sur deux inutilisable pour faire respecter les règles de distanciation sociale et limiter le nombre de personnes présentes, et le port du masque est recommandé.
Ces mesures sont jugées insuffisantes par l’association d’aide aux victimes des accidents de médicaments (AAAVAM), partie civile, qui sollicite un nouveau report de ce procès « à risque ».
« Je suis effrayé à l’idée que nous puissions être réunis. Nous serons une centaine dans la salle. Je n’ai pas l’impression que l’audience puisse se tenir dans une ambiance normale pour une justice sereine », soutient l’avocat de l’AAAVAM, Alain Fraitag.
« Aucun renvoi ne sera toléré », rétorque Charles Joseph-Oudin, avocat de quelque 250 parties civiles. « Les victimes attendent depuis des années, il faut que ça se termine », déclare-t-il à l’AFP.
« Excuses » et dénégations
Le procès se tient dix ans après la révélation de ce scandale sanitaire par la pneumologue de Brest Irène Frachon. Une question centrale a animé les débats: comment ce médicament, présenté comme un antidiabétique mais largement détourné comme coupe-faim, a-t-il pu être prescrit pendant 33 ans malgré les alertes répétées sur sa dangerosité?
Utilisé par cinq millions de personnes, le Mediator est à l’origine de graves lésions des valves cardiaques (valvulopathies) et d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une pathologie rare et mortelle.
Les laboratoires Servier sont accusés d’avoir sciemment dissimulé les propriétés anorexigènes et les dangereux effets secondaires du Mediator, qui sera remboursé au taux plein de 65%, malgré une efficacité discutable sur le diabète, jusqu’à son retrait du marché en novembre 2009.
Le groupe pharmaceutique, qui est notamment poursuivi pour « tromperie aggravée », « escroquerie » et « homicides et blessures involontaires », s’en est inlassablement défendu, mettant en avant « l’absence de signal de risque identifié avant 2009 ».
A la barre du tribunal, l’ex-numéro 2 de la firme, Jean-Philippe Seta, avait présenté ses « excuses » aux victimes, venues témoigner de leurs souffrances mais aussi de leur colère contre le « système Servier ». Le prévenu avait invoqué des « erreurs d’évaluation », mais rejeté toute faute intentionnelle.
Jugée pour avoir négligé les alertes sur la dangerosité du Mediator et tardé à le suspendre, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps) a dit assumer « sa part de responsabilité » dans le drame sanitaire, et ne plaidera pas la relaxe.
L’Agence avait placé le Mediator sous enquête de pharmacovigilance dès 1995, du fait de ses similitudes chimiques avec deux anorexigènes du groupe Servier, l’Isoméride et le Ponderal, retirés eux du marché en 1997 en raison de leur dangerosité.
Plusieurs anciens responsables et experts des autorités de santé sont également poursuivis, soupçonnés d’avoir été sous « l’influence » des laboratoires Servier. Ils ont nié tout conflit d’intérêts avec la firme.
Vingt journées d’audience sont encore prévues. Le tribunal doit entendre l’ancienne sénatrice Marie-Thérèse Hermange, accusée d’avoir modifié un rapport sur le Mediator après une « visite clandestine » au Sénat d’un conseiller du groupe Servier et ex-directeur général de l’Inserm, Claude Griscelli.
Le début des plaidoiries des parties civiles, qui demandent pour la plupart réparation pour « tromperie », est prévu le 9 juin.
Seuls 95 cas d’homicides et blessures involontaires ont été examinés par le tribunal. Ce volet est toujours à l’instruction et devrait faire l’objet d’un second procès pénal.
De nombreuses victimes corporelles ont par ailleurs déjà été indemnisées par Servier et se sont donc désistées de la procédure pénale.
Les réquisitions du parquet sont attendues fin juin. La parole sera ensuite à la défense. La fin du procès est désormais prévue le 6 juillet.