Pour remplacer les imams détachés, la France devra doper les formations
Pour pouvoir se passer des imams étrangers dans ses mosquées, comme l’a annoncé le président Emmanuel Macron, la France devra accélérer la formation des imams sur son sol et ne pas laisser de vide, ont prévenu mercredi des responsables musulmans.
Mettre fin aux système des imams détachés ? « Pourquoi pas, mais il faut de vraies solutions de remplacement », note Abdallah Zekri, délégué général du Centre français du culte musulman (CFCM), principal interlocuteur du gouvernement en matière d’islam.
Mardi, lors d’un déplacement dans l’est du pays consacré au « séparatisme islamiste », le chef de l’État français, Emmanuel Macron, a affiché sa volonté de mieux contrôler les discours dans les mosquées, parfois accusés d’ambiguïté vis-à-vis des valeurs républicaines. Et, pour cela, de cesser d’accueillir les imams envoyés et payés par des pays étrangers.
Sans s’opposer à ce projet, que le gouvernement souhaite achever d’ici à 2024, M. Zekri souligne que « contrairement à ce qu’on dit », la radicalisation islamiste « ne se passe pas dans les mosquées, très surveillées, mais à l’extérieur ».
La France compte, selon le CFCM, entre 250 et 300 imams détachés, venus notamment d’Algérie (environ 70), du Maroc (50) et de Turquie (120). Soit un tiers des imams officiant sur son territoire, les 600 autres étant employés directement par des mosquées.
Ces détachés, qui restent plusieurs années, viennent par le biais de conventions bilatérales et leurs discours sont surveillés par les autorités, note M. Zekri. « Ils n’ont jamais posé de problème: pas un n’est fiché S (NDLR pour radicalisation), n’a commis un acte terroriste ou n’a fait de discours » extrémistes, dit-il.
Mais pour Hassan Moussaoui, ancien responsable du CFCM pour deux départements de la région parisienne, ils « sont déconnectés de la réalité de la France » et, pour certains, « se basent toujours sur le contexte du Maroc ou de l’Algérie ». « Un imam va par exemple insister sur l’obligation de faire la prière du vendredi à la mosquée même si vous travaillez », ce qui n’est pas toujours possible en France, souligne-t-il.
– Prêches en français –
Avec la fin programmée des détachés, prévient M. Zekri, « il faut trouver une autre solution pour ne pas laisser des mosquées livrées à des imams autoproclamés dont on ne connaît ni la provenance, ni les discours ». Et donc « former en France davantage d’imams qui connaissent les lois de la République, la laïcité… » alors qu’actuellement existent seulement deux centres de formation.
Pour M. Zekri, « si l’État veut avoir des imams français républicains, il faut qu’il mette la main à la poche ». Aujourd’hui les imams détachés, payés par leur pays d’origine, ne coûtent rien aux mosquées.
La France ne compte que 900 imams pour 2.500 à 2.700 mosquées. Faute d’imam, « les prières sont assurées par des fidèles volontaires qui connaissent le Coran », précise-t-il.
« Le point positif, c’est qu’en France, il n’y a pas de crise de vocation », souligne Mohammed Henniche, président de la mosquée de Pantin, au nord de Paris, et secrétaire général de l’Union des musulmans de France de son département, la Seine-Saint-Denis. « Des jeunes qualifiés veulent devenir imam, mais c’est difficile ».
« Pour former un imam », abonde Mohamed Touahria, membre de l’Association musulmane de Gonesse, un peu plus loin au nord de Paris, « il faut au moins 10 à 12 ans » et maîtriser l’arabe, le Coran mais aussi le français, « car dans nos mosquées, les jeunes ne parlent pas arabe ».
« Les mosquées ne veulent pas d’imams du bled non bilingues. Les fidèles ne comprennent rien au prêche », abonde M. Henniche.
Omar, un habitué d’une mosquée de la région, attend de l’imam qu’il lui parle « de sujets qui correspondent à (sa) vie dans la société française ».
M. Macron a également annoncé vouloir mettre fin à l’accueil chaque année de 300 « psalmodiateurs » venus de l’étranger pour aider aux prières pendant le mois du ramadan, pic de fréquentation des mosquées et où la tradition veut que lors des prières nocturnes, l’imam maîtrise par cœur le Coran.
« C’est une décision trop hâtive », regrette Abdelbaki Attaf, administrateur de mosquée. « Il faut remplacer progressivement. Pour le moment il n’y a pas assez d’imams qui psalmodient ».