Angela Merkel, l’inoxydable chancelière fragilisée
Angela Merkel, 63 ans dont 12 au pouvoir, a longtemps paru inoxydable. Mais, à l’orée de son quatrième mandat de chancelière, elle sort fragilisée de la crise des migrants et de cinq mois d’imbroglio politique.
"Disons les choses clairement, après douze années la méthode Merkel est arrivée à son terme", clame pour sa part le chef du parti libéral d’opposition, Christian Lindner.
Depuis l’automne, rien ne se passe comme prévu pour la chancelière. Tout d’abord, sa famille politique conservatrice a enregistré lors des législatives un score historiquement bas et vu une partie de ses électeurs préférer des formations hostiles à sa politique d’immigration longtemps généreuse, l’extrême droite et les Libéraux.
Le débat sur l’après-Merkel est désormais ouvert. Sous la pression de frondeurs de son parti démocrate-chrétien (CDU), elle a dû commencer à préparer sa succession en nommant une proche, Annegret Kramp-Karrenbauer comme numéro deux du mouvement, chargée de préparer un "renouveau".
Angela Merkel (g) et la nouvelle secrétaire générale du CDU Annegret Kramp-Karrenbauer le 26 février 2018 à Berlin © Tobias SCHWARZ AFP/Archives
Angela Merkel (g) et la nouvelle secrétaire générale du CDU Annegret Kramp-Karrenbauer le 26 février 2018 à Berlin © Tobias SCHWARZ AFP/Archives
Le passage de témoin interviendra-t-il au terme de son prochain mandat fin 2021 ou plus tôt ? Plusieurs médias allemands n’excluent pas un départ au bout de seulement deux ans de mandat.
C’est à l’automne 2015 que tout a basculé, lorsque Angela Merkel décide d’ouvrir son pays à des centaines de milliers de demandeurs d’asile. Malgré les inquiétudes de l’opinion, elle promet de les intégrer et de les protéger. "Nous y arriverons", dit-elle.
Jusqu’alors, cette docteure en chimie qui porte toujours le nom de son premier mari n’avait guère pris de risque politique. Elle a toujours cultivé une image de femme prudente voire froide, sans aspérités, simple, qui aime les pommes de terre, l’opéra et la randonnée.
‘Nazie’ ou ‘mère Teresa’
Pour expliquer sa décision historique sur les migrants, prise sans vraiment consulter ses partenaires européens, les "valeurs chrétiennes" reviennent sans cesse.
Ce logiciel, elle le tient de son père, un pasteur austère parti vivre avec toute sa famille volontairement dans l’Allemagne de l’Est communiste et athée pour prêcher l’évangile. Angela Merkel y grandit, s’accommodant du système mais sans perdre la foi.
Fin 2015 donc, la chancelière est émue et émeut avec ses selfies en compagnie de migrants reconnaissants. Celle qui fut un temps dépeinte en nazie par certains pour son inflexibilité financière face à la Grèce, se transforme en "mère Teresa" des réfugiés.
Un an plus tard, après le séisme Donald Trump, médias et politiques la proclament "leader du monde libre".
Mais la médaille montre son revers. La crise migratoire inquiète, la peur de l’islam et des attentats s’installent, et l’électorat conservateur se détourne en partie vers la formation d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD).
En septembre 2017, l’AfD fait une entrée historique au Parlement. Un tabou de l’après-guerre est brisé.
Et la réputation de froideur d’Angela Merkel est encore renforcée dans l’opinion en décembre lorsqu’il ressort qu’elle n’a jamais présenté de condoléances aux familles des victimes de l’attentat au camion bélier de fin 2016 à Berlin. Le tueur, agissant au nom du groupe Etat islamique, était un demandeur d’asile.
En Europe aussi, la politique migratoire de la chancelière a conduit à son affaiblissement. Tout comme elle refuse la "mutualisation des dettes", une coalition de partenaires lui refuse de "mutualiser" ses migrants.
Le chef de l’Etat français Emmanuel Macron paraît avoir pris l’ascendant comme force motrice dans l’UE aujourd’hui face à une chancelière en perte de vitesse.
Sous-estimée
Mais Mme Merkel a des ressources, rebondissant à chaque coup dur.
Elle reste un animal politique aussi singulier que redoutable, que les grands noms de l’Allemagne contemporaine ont presque tous sous-estimé. A commencer par le chancelier Helmut Kohl qui lui met le pied à l’étrier tout en lui donnant le sobriquet de "gamine".
En 2000, elle profite d’un scandale financier au sein de son parti pour prendre la CDU. La débutante sans charisme double alors tous les hiérarques masculins.
Le 18 septembre 2005, elle arrache une victoire électorale sur le fil face au chancelier social-démocrate Gerhard Schröder. Ce dernier ne peut y croire, lançant ce soir-là à la télévision que la "vraie perdante est Frau Merkel".
Ironie de l’Histoire, elle a largement tiré parti des réformes économiques impulsées par son prédécesseur.
Ses adversaires jugent que sa seule véritable décision d’avenir, la sortie du nucléaire décidée en 2011 après la catastrophe de Fukushima, avait surtout été prise pour satisfaire une opinion effrayée. (afp)