Racisme: «Les Français sont dans l’acceptation tant qu’on ne touche pas à leur petit jardin»
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) rendait lundi son rapport annuel. Racisme, antisémitisme, xénophobie: état des lieux avec Marc Leyenberger, rapporteur.
Le rapport fait état d’une véritable «flambée» des violences et menaces racistes et xénophobes et d’une «forte hausse» des violences et menaces antisémites. La situation s’est aggravée tant que ça pour la seule année 2009 ?
Les chiffres sont malheureusement éloquents. S’agissant des actes racistes et xénophobes, on en a recensé 1026 en 2009, contre 467 en 2008 et 321 en 2007. L’autre motif d’inquiétude, c’est que ces actes sont de plus en plus violents (agressions avec blessures, graves dégradations d’édifices religieux…). 220 sont rentrés dans cette catégorie en 2009, contre 97 en 2008.
Concernant les violences et menaces antisémites, 815 faits ont été enregistrés en 2009 contre 459 faits l’année précédente.
Précisons qu’il s’agit là des faits recensés par le ministère de l’Intérieur, ou par celui de la Justice après traitement de l’affaire. Si l’on tient compte du fait que toutes les victimes ne portent pas plainte, et qu’elles sont même de moins en moins portées à le faire selon ce que nous rapportent les associations, on imagine bien que les actes réellement commis sont plus nombreux.
Comment expliquer cette recrudescence alors que depuis une dizaine d’années la tendance était plutôt à la baisse ?
1999 et 2000 avaient représenté le creux de la vague. Des poussées avaient suivi en 2001, 2002 et 2003. Mais depuis un pic en 2005 certainement lié aux événements au Proche-Orient, le nombre d’actes antisémites était en régression constante. Survient, début 2009, l’offensive meurtrière israélienne dans la bande de Gaza en janvier 2009. Mécaniquement, on a une flambée de violence en France. Comme on risque d’en avoir une avec l’attaque de lundi contre la flottille.
Mais ce mouvement à la hausse en 2009 n’est pas uniquement lié à Gaza puisque l’on voit qu’il se maintient tout au long de l’année. L’autre élément explicatif peut être à chercher dans la situation économique. En situation de précarité, une partie de la population a tendance à chercher, sinon un bouc-émissaire, du moins à se préserver de l’incertitude en se protégeant de «l’autre».
Quelles sont les premières populations visées ?
Si l’on parle du racisme, ce sont encore et toujours les Maghrébins. Avec des différences selon les régions: l’Ile-de-France, Rhône-Alpes et l’Alsace sont en tête. Ailleurs en Europe, l’évolution est tout aussi défavorable (quoique le degré de violence y est moins haut qu’en France) mais les premières victimes sont souvent les Roms, notamment en Roumanie, Bulgarie et Italie.
Pourtant, quand on interroge les Français, ils se disent plus tolérants qu’auparavant. Comment interpréter cette distorsion ?
C’est tout le paradoxe. Selon le sondage que nous avons réalisé sur les comportements à l’égard du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme, 54 % des personnes interrogées ne se déclarent «pas racistes du tout». Il y a encore trois ans, un sur trois se disait raciste. Aujourd’hui, les Français ne considèrent plus les juifs ou les homosexuels comme des «groupes à part». On peut y voir un effet de l’effort de sensibilisation mené par les politiques publiques, notamment à l’école.
Dans le même temps, 84% estiment qu’actuellement le racisme est «un phénomène répandu», témoignant un écart entre visions objectives et subjectives du racisme, entre la manière dont il est perçu et ce qu’il se passe réellement. Et si l’on regarde le détail des réponses, on s’aperçoit que, lorsqu’il s’agit de relations individuelles, on continue à rejeter l’autre. On est dans l’acceptation tant qu’on ne touche pas à son petit jardin.
Que faire ?
D’abord, ne rien laisser passer. Le grand danger actuel, c’est la banalisation. Aujourd’hui, on ne trouve pas si grave de dire ceci sur les juifs, cela sur les arabes, d’entendre «sale juif» dans une cour d’école. Jusque dans le discours politique, où certains commentaires inacceptables sont présentés comme normaux. Nous appellons à continuer les efforts sur la sensibilisation et surtout à une politique concertée, durable. On ne peut se contenter d’attendre le pic de violence et de réagir après coup.