Lundi, 98% des magistrats étaient en grève, après 96% la veille, affirme dans un communiqué publié par les médias le Syndicat national des magistrats (SNM), à l’origine du mouvement.
"Tous les tribunaux du pays sont totalement paralysés", a affirmé de son côté à l’AFP Saadedine Merzoug, porte-parole du Club des magistrats, un syndicat non enregistré, né dans la foulée du "Hirak", le mouvement de contestation inédit du régime né en Algérie le 22 février, qui a poussé l’ex-président Abdelaziz Bouteflika à la démission le 2 avril.
Cette grève est "une première dans l’histoire de la justice algérienne", la loi interdisant aux magistrats algériens de participer ou d’inciter à la grève, a expliqué à l’AFP Me Abdellah Haboul, magistrat durant 21 ans, devenu avocat.
Le principal tribunal d’Alger, celui de Sidi M’hamed, était quasi-désert lundi, a constaté un journaliste de l’AFP. Aucune audience ne s’y tenait et seule une poignée d’avocats discutaient dans un bureau. Il n’a pas été possible d’accéder aux bureaux des magistrats.
"Tous les procès prévus aujourd’hui (lundi) ont été renvoyés", a expliqué sur place un avocat.
La loi électorale confie aux magistrats un rôle important dans l’organisation des scrutins et même si le SNM leur a demandé d’assurer leurs missions relatives à la présidentielle du 12 décembre, cette grève est susceptible d’entraver les préparatifs d’un scrutin voulu par le pouvoir, mais massivement rejeté par la rue.
– "Mainmise du pouvoir exécutif" –
Cofondé en 1993 et présidé jusqu’en 2002 par Tayeb Louh, magistrat devenu ensuite ministre du Travail puis de la Justice de M. Bouteflika, le SNM fut proche du pouvoir durant les 20 ans de présidence de ce dernier.
Le syndicat a commencé à s’en affranchir en mai à la faveur du "Hirak", en admettant que la justice "n’était pas indépendante" en Algérie.
Avec cette grève, il entend dénoncer la "mainmise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire", accusant notamment le ministre de la Justice d’avoir "empiété sur les prérogatives du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM)" en annonçant le 24 octobre le changement d’affectation quelque 3.000 magistrats — la moitié des effectifs de ce corps, selon M. Merzoug.
Le ministère affirme que ces mutations ont été "validées à l’unanimité" par le CSM, mais 12 de ses membres ont annoncé le "gel" de cette décision, affirmant que l’institution n’avait pas été consultée et n’avait pu "prendre connaissance" que "de la liste finale élaborée par le ministère".
Le ministère a immédiatement qualifié ce gel d’"illégal", "nul et non avenu".
Présidé par le chef de l’Etat, et comprenant le ministre de la Justice, le président et le procureur général de la Cour suprême, dix magistrats élus par leurs pairs et six non-magistrats nommés par le président de la République, le CSM est chargé de décider "des nominations, mutations et promotions des magistrats" et des poursuites disciplinaires.
Le pouvoir, incarné par le haut commmandement militaire, semblait avoir repris ces derniers mois sa mainmise sur la justice.
Une campagne anticorruption, soupçonnée de servir une lutte de clans au sein du pouvoir, a envoyé sous les verrous des personnalités politiques et d’importants hommes d’affaires. Par ailleurs, une centaine de manifestants, militants ou journalistes favorables au "Hirak" ont été inculpés de crimes graves et envoyés en détention préventive.