Tunisie: reprise des auditions publiques des victimes de la dictature
Les auditions publiques des victimes de la dictature en Tunisie ont repris vendredi soir et se poursuivront samedi 17 décembre, date anniversaire de l’immolation de Mohamed Bouazizi qui avait déclenché la révolution.
Dans un local destiné aux avocats, près de Tunis, Mehrezia El Abed, qui a été emprisonnée pour son appartenance au parti islamiste Ennahda, sous le régime du président Zine El Abidine Ben Ali, commence son récit dans un silence total.
"Il n’y pas un jour qui passe sans que je me rappelle ce que j’ai vécu dans la chambre de torture au ministère de l’Intérieur (…), j’ai connu toutes les formes de torture au point de souhaiter ma mort", a-t-elle raconté.
"La liberté n’est pas une chose facile! Nous respirons maintenant Liberté! vous devez la préserver!, dit-elle en larmes au public, des hommes politiques, des représentants de la société civile et des proches de victimes, très émus.
Après le témoignage de Najoua Rezgui, 44 ans, torturée elle aussi sous le régime de Ben Ali, Salem Kardoun, un ancien haut cadre militaire, a raconté son calvaire dans les locaux des services de la Sûreté de l’Etat. Il était accusé d’être impliqué dans l’affaire dite de "Baraket Essahel" du nom d’une localité à 45 km de Tunis et qui remonte à 1991 lorsque des officiers supérieurs se seraient réunis pour préparer un coup d’Etat présumé contre Ben Ali.
Les témoignages, retransmis en direct par la chaîne nationale Watanya 1, ont continué avec ceux de deux victimes de violations de droit de l’Homme, dont le frère d’un enseignant tué par balle en janvier 1984 lors des violentes émeutes provoquées par le doublement du prix du pain.
"Je ne vais pas pardonner! Ma famille ne va pas pardonner! Ma mère veut savoir qui a tué son fils! Il faut qu’il y ait une poursuite (judiciaire) et jugement des coupables!", clame le frère.
Ces auditions publiques de victimes s’inscrivent dans un travail de mémoire rendu possible par la révolution ayant fait plus que 300 "martyrs", selon un bilan officiel.
Plus de 15.000 victimes ont déjà été entendues à huis clos par l’IVD, qui a étudié les expériences d’autres pays ayant mis en oeuvre de telles structures comme l’Afrique du Sud et le Maroc.
La deuxième partie des auditions reprendra samedi, six ans jour pour jour après l’immolation, le 17 décembre 2010, d’un vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi.
Cet incident avait donné le coup d’envoi de la révolte contre le régime Ben Ali ayant abouti à sa chute le 14 janvier 2011 et sa fuite avec sa famille en Arabie Saoudite.
Créée durant la transition démocratique née de la révolution de 2011, point de départ du printemps arabe, l’IVD, une instance autonome, est chargée aussi de réhabiliter les victimes et de leur octroyer réparation.
La période sur laquelle elle enquête s’étend de juillet 1955 à fin 2013. L’IVD dispose de très larges pouvoirs et a -en principe- un accès total aux archives publiques. Les crimes dont elle peut être saisie vont de l’homicide volontaire à la torture, en passant par le viol, les exécutions extrajudiciaires, la privation de moyens de subsistance et la violation de la liberté d’expression.
Malgré le caractère historique du rendez-vous, ni le président Béji Caïd Essebsi ni le chef du gouvernement Youssef Chahed n’ont assisté à ces nouvelles séances publiques de l’IVD.
(Source AFP)