Défiant la police municipale et les commentaires de Tunisois agacés, les étals s’étendent sur les places, trottoirs et quais du tramway dans un indescriptible chaos multicolore de produits comestibles, parfums et produits de beauté de marque contrefaits, shampoings, bijoux, jouets, outils de bric et de broc à des prix défiant toute concurrence.
Ce "made in China" fait le bonheur des clients touchés par le renchérissement du coût de la vie et consommateurs frénétiques en ce mois de ramadan. Il met en rage les boutiques ayant pignon sur rue.
A l’approche de la fête de l’Aïd qui suit le mois de jeûne musulman, l’achat d’habits neufs et de jouets pour les enfants est un must: Djellabas, jeans, baskets, t-shirts et chaussures sont proposés pour quelques dinars jusque devant les devantures de boutique de la rue marchande Charles De Gaulle, coeur battant de Tunis.
Camelote? Qu’importe, "l’essentiel est de faire plaisir aux enfants et aux vieux à petits prix", affirme Saida, les bras chargés d’achats pour l’Aïd.
Autrefois cantonnés dans la rue Boumendil, le commerce informel détenu par des barons du clan des Trabelsi, du nom de l’épouse de l’ex-président Ben Ali, les marchands du made in China se sont multipliés et ont envahi par centaines Tunis. Certains tolèrent, d’autres ne cachent pas leur agacement.
"Avant sur l’Avenue Bourguiba, il ne se vendait que des fleurs et du jasmin, c’est révoltant de voir la capitale transformé en souk de camelote", s’énerve Ridha, un chauffeur de taxi vivant depuis son enfance dans la capitale. "Je n’ai jamais vu un tel désordre", ajoute ce quadragénaire.
Le phénomène inquiète de plus en plus les Tunisois. "Quelle image de Tunis aux yeux des visiteurs étrangers, déjà rares après la révolution ?", s’interroge Mosbah sur la terrasse d’un café touristique. "Ils sont là jour et nuit".
"Il faut arrêter les dégâts. Tunis était l’une des capitales les plus belles et les plus propres du monde arabe, c’est honteux de voir tuniques et rideaux cacher la belle entrée de la médina", déplore Majid, un ingénieur de 57 ans.
"Même les merguez se vendent maintenant sur l’avenue Habib Bourguiba", principale promenade de la capitale envahie par les odeurs de méchoui la nuit. "On se croirait dans une scène de film égyptien", se lamente-t-il.
La plupart des vendeurs ambulants sont "des jeunes chô meurs originaires de provinces pauvres, et qui offrent des produits à la portée des petites bourses, se défend un des vendeurs, Slah.
Exposant des verres multicolores sur un carton à même le sol, Mounir, un jeune bachelier de 25 ans originaire de Sidi Bouzid (centre-ouest) se dit contraint à ce petit métier.
"Je suis obligé pour nourrir ma famille, j’ai besoin de sous", explique-t-il, emballant à la va-vite une douzaine de verre dans du papier journal.
Près d’un quart de la population vit actuellement en-dessous du seuil de pauvreté, et le chômage touche 700.000 personnes, dont 170.000 titulaires de diplô mes universitaires, notamment à l’ouest du pays, selon des statistiques officielles post-révolution.