«Ne pas accorder d’attention au fait religieux favorise les intégrismes»
Christian Defebvre, agrégé d’histoire et géographie, docteur en sciences de l’éducation, analyse la place du religieux dans le système éducatif français. Il a dirigé l’ouvrage collectif Histoire des religions en Europe (Hachette éducation) et est l’auteur des cahiers pédagogiques Sagesses et religions du monde (Bayard).
Que pensez-vous de la polémique provoquée par la demande d’aménagement des horaires d’examens d’entrée aux grandes écoles pour des candidats juifs ?
Ce fait divers, par les réactions suscitées et leur montée en puissance, révèle une frilosité de notre système éducatif sur la question des religions, ainsi que la difficulté d’aborder cette question sans éveiller les peurs des uns et l’insatisfaction de tous ceux qui aspirent à une nouvelle approche du vivre-ensemble dans la société française contemporaine.
La fête concernée par cette demande est celle de Pessah (Pâque juive), qui n’est pas la plus importante du calendrier hébraïque. L’institution doit-elle se plier à une telle demande ?
Une laïcité étroite et antireligieuse provoque parfois le monde des croyants quelle que soit leur religion. Le fait de ne pas accorder d’attention au fait religieux au nom d’une laïcité étroite favorise les réactions intégristes comme cette demande de modification des dates des examens. On couperait court à ce genre de revendication si l’Education nationale accordait une attention à chaque grande religion du pays, ne serait-ce qu’en les consultant sur leur calendrier des fêtes religieuses pour en informer ensuite les agents du système éducatif afin de ménager les susceptibilités. Ce travail de communication interne, une fois accompli, reste le fait que dans notre société les enseignants sont parfois confrontés dans leurs classes à des élèves extrémistes et qu’ils ne disposent actuellement ni d’une formation adaptée ni d’un temps scolaire leur permettant d’aborder scientifiquement la question des religions afin d’éveiller au discernement de ce qu’est l’extrémisme religieux ou un courant sectaire. Etre informé du calendrier des fêtes religieuses, considérer la question de la formation scientifique aux religions et envisager un temps pour le sens de l’existence à l’école, comme cela se pratique en Belgique, n’empêche pas un positionnement clair et ferme évitant de céder à toute injonction sectaire ou intégriste. La laïcité est une valeur fondamentale de notre République. Elle est au cœur de notre institutionnel public. Pour la faire exister en répondant aux réalités d’aujourd’hui, il faut à la fois oser la faire évoluer vers un meilleur vivre-ensemble et en même temps la protéger avec fermeté face aux courants intégristes ou sectaires.
Comment l’école a-t-elle évolué sur la question de la présence de la religion ?
Notre système éducatif a pris naissance sous la IIIe République, dans un contexte scientiste où l’on a cru pouvoir se passer des religions. Au début du siècle, on a vu apparaître au sein de l’Education nationale, des gens qui faisaient de la laïcité une quasi-religion. L’inspecteur général Louis Bérard a tenté d’enlever toute trace de religion dans les programmes. A partir des années 60, les professeurs se sont montrés de plus en plus mal à l’aise sur les questions morales, pas tant au nom de la science ou de la mort de la religion annoncée par Nietzsche, mais du respect de la vie privée. La question du foulard et des banlieues a été la première alerte : quelque chose était en train de changer. En 1984, Jean-Pierre Chevènement a réintroduit l’instruction civique – qui avait disparu au début des années 70 – au collège.
Depuis quand l’école réfléchit à la question du religieux ?
En 1990, Philippe Joutard, recteur de Besançon, a organisé un colloque sur la place des religions dans le système éducatif. Il ne s’agissait pas uniquement de réagir à la question du voile. Mais de trouver une réponse à un problème de fond qui est que les enseignants se retrouvent face à des analphabètes en matière de culture religieuse. Par ailleurs, le public scolaire d’aujourd’hui est diversifié. Chaque élève a son savoir, et celui qui vient d’une société musulmane, dans laquelle la religion est très prégnante, pose parfois des problèmes à l’enseignant. On ne peut plus se réfugier en disant que la religion est une affaire privée. Il faut au contraire se réapproprier cette question et concevoir des pédagogies ouvertes à la compréhension et au respect.
N’est-ce pas ce qu’avait préconisé Régis Debray dans son rapport sur l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque ?
Ce rapport a été rendu au moment où la gauche s’en allait. Du coup, il est tombé en désuétude, alors que Régis Debray pointait la nécessité de redonner aux religions une place dans notre système éducatif.
Quelle place ?
Il y a encore un courant laïque, scientiste, dans la société, qui considère la religion comme un phénomène passéiste. Or, tant qu’on n’aura pas viré notre cuti sur ce sujet, on sera la cible des tendances intégristes, fondamentalistes, voire des sectes. Il faut prendre en compte cette question de manière très concrète, sans polémiques. La question que nous devons résoudre ensemble est : que peut-on faire pour mieux vivre ensemble et se respecter en reconnaissant que nous avons des croyances différentes, y compris le refus de Dieu ?