Le président de la République algérienne n’a pas dérogé à la tradition, en recevant quatre journalistes au Palais de la Mouradia pour la toute première interview collective fleuve. Il a abordé la situation en Algérie à la lumière du Covid-19 et, ce faisant, les difficultés auxquelles son pays est confronté, suite à la vertigineuse chute des prix du pétrole qui met à très mal le pays. Aux chiffres implacables d’une réalité tangible, Abdelmajid Tebboune a opposé – comme dans la méthode Coué – un raisonnement aux antipodes de la réalité décrite par plusieurs observateurs.
Les réponses apportées aux questions des journalistes sont trempées dans l’encre d’un « optimisme béat » et de la langue de bois qui ne manque pas d’interpeller les uns et les autres. On lui accordera crédit, parce qu’il n’est pas de notre intention de critiquer la parole adressée à son propre peuple , au nom de la pudeur que notre position de Marocain nous impose et, bien entendu, d’une éthique professionnelle. Cependant, là où notre devoir de réagir nous impose une réponse catégorique et ferme, est sa phrase ou plutôt sa citation délibérée sur le Sahara. Dans la foulée d’une formule hâtive , mais contextuelle puisqu’il évoquait les difficultés du budget algérien, il a parlé tour à tour de la Palestine et du Sahara. Autrement dit, suivez mon regard, l’une et l’autre mises ensemble par le raccourci abusif devenu sa langue , à telle enseigne que le non averti succombera à ce délire.
On aura compris somme toute que, confronté à une descente abyssale des finances, le gouvernement algérien continue de faire du Sahara l’un de ses soucis majeurs, pour ne pas dire l’une des priorités de sa politique étrangère. Curieusement, le président algérien , se voulant tout au long de son interview pantelant, a simplement dit « Sahara » sans pour autant y ajouter l’adjectif occidental , comme le font depuis quarante-cinq maintenant les propagandistes du régime, la presse « voix de son maître ». La rupture avec cette terminologie est ici d’autant plus surprenante que, venant de la bouche du chef de l’Etat algérien lui-même, nous en dit long. Assahra et non Assahra al-gharbia, indique tout simplement qu’il s’est approprié le territoire et l’a, à tout le moins mentalement, incorporé dans sa tête, déniant même l’appellation qui les Nations unies et la communauté mondiale lui réservent.
C’est un lapsus dont le moins que l’on puisse dire est, pour reprendre la rhétorique de la psychanalyse, révélateur. Il intériorise , peut-être même qu’il banalise l’irrépressible volonté de continuer à croire que le Sahara marocain incarne ce fantasme des dirigeants algériens. Le lapsus de Tebboune tombe à point nommé pour nous révéler l’autre dimension paranoïaque du régime algérien qui, nous n’avons de cesse de le souligner depuis belle lurette, se substitue au régime colonial et prend sa place à tous les niveaux : l’expansionnisme, la rhétorique, la guerre secrète et surtout les attaques ad hominem contre le Maroc. C’est le retour du boumediénisme dans sa sinistre et illustre exubérance. Le président de la République algérienne reprend l’antienne de Boumediene des années soixante-dix et l’argumentaire manoeuvrier d’un Mohamed Bedjaoui présenté lors des débats sur le Sahara en juillet 1975 organisés au sein de la Cour Internationale de Justice de La Haye pour accréditer l’idée que le Sahara était à la limite terra nullius, reprenant ainsi à son compte la propagande coloniale.
Dans l’inconscient des dirigeants algériens de l’époque et, bien entendu, dans celui du président Tebboune aujourd’hui, le Sahara marocain ne saurait être que le prolongement géographique de celui de l’Algérie, à la limite une petite province qui lui serait inféodée , avec accès à l’Atlantique. En juillet 1969, un méga accord avait été conclu , au temps du triomphe du régime de Boumediene, entre le gouvernement algérien et le groupe pétrolier américain El Pasos pour la livraison aux Etats-Unis de 10 milliards de mètres cubes de gaz algérien pendant vingt-cinq ans. Bouleversant les capacités algériennes de livraison et de maintenance, Boumediene s’était imaginé maître des situations et le défaiseur de la complexité du monde, il avait de surcroît oublié les promesses tenues et faites au Roi Hassan II six mois auparavant lors du Sommet bilatéral d’Ifrane où un document majeur, intitulé Traité maroco-algérien d’Ifrane avait été signé entre les deux chefs d’Etat, portant à la fois sur le tracé frontalier, la coopération économique, l’exploitation commune des richesses minières, notamment le fer de Garat Jebilet …
Le Roi Hassan II a tout de suite percé la duplicité de Boumediene , avatar s’il en fut, de la guerre des sables d’octobre 1969 . Cette duplicité éclatera au grand jour lorsque les services algériens dirigés alors par Kasdi Merbah, originaire de Fès et leurs homologues espagnols, notamment le général Viguri, donnèrent naissance en mai 1974 en Mauritanie au polisario. Les mêmes services algériens assassineront en 1976 El Ouali Mostafa Sayed, qui dirigeait le mouvement séparatiste. Le même Kasdi Merbah sera à son tour assassiné en 1993 en pleine Alger, par le DRS que dirigeait de main de maître un certain Mohamed Médiene , dit « Toufik ». La séquence sanglante de ce début de l’affaire du Sahara était motivée par l’appétit grotesque des dirigeants algériens à vouloir mettre la main sur le Sahara marocain et la bataille d’Amgala de février 1976 où l’armée marocaine captura des centaines de soldats algériens impliqués jusqu’au cou , témoignait de cette irascible volonté d’accaparer mordicus le Sahara marocain et de combattre son ayant droit, le Maroc. Il n’est pas jusqu’à l’offre faite par feu Hassan II à Boumediene , consistant à ouvrir de Tindouf jusqu’à l’Atlantique un couloir stratégique pour acheminer le pétrole et le gaz algérien aux Etats-Unis notamment qui n’ait été déclinée et refusé, non sans son orgueil démesuré par le chef de l’Etat algérien.
Le lapsus du président Tebboune traduit une nostalgique appétence, qui est à son souci irrépressible de faire du Maroc le bouc émissaire , ce que l’absence de convaincre est à sa relation avec son peuple et le mouvement de contestation. Quand la guerre d’Algérie, glorieuse et juste, fut achevée par l’accession en juillet 1962 à l’indépendance, Tebboune avait seulement 17 ans et l’histoire qui s’est accélérée à cette date s’était faite et écrite jusqu’aux années deux mille sans lui. De l’affaire du Sahara, il ne connaît que la cosmétique que les idéologues et les lampistes du DRS ont façonnée. Sauf que le lapsus délibéré de Sahara tout court, placé simultanément avec la Palestine participe de la même mystification d’il y a quarante-cinq ans …La dernière résolution des Nations unies, 2494, votée en octobre 2019 par le Conseil de sécurité a bel et bien impliqué l’Algérie comme partie prenante du conflit, autrement dit « une partie concernée », donc responsable à plus d’un titre. Dont acte !