Dépistage du cancer du poumon chez les fumeurs : les résultats d’un grand essai américain sont enfin publiés
En mars dernier, Christine Berg, du National Cancer Institute, était venue présenter à l’INCa les résultats préliminaires d’un grand essai, mené à l’échelle nationale aux Etats-Unis, sur le dépistage du cancer du poumon (voir “Echanges entre le NCI et l’INCa à propos du dépistage du cancer du poumon”). Les résultats définitifs de cet essai (National Lung Screening Trial – NLST) sont désormais publiés dans le New England Journal of Medicine et accompagnés d’un éditorial qui en tire les principaux enseignements.
Ayant débuté en août 2002, l’essai NLST avait pour objectif de comparer deux examens de radiologie pour dépister les cancers du poumon dans une population de fumeurs (actuels ou ayant cessé de fumer depuis moins de 15 ans). Ces deux examens sont la radiographie pulmonaire classique (RP) et le scanner thoracique hélicoïdal à faible dose (ScT). L’essai a inclus 53 454 participants sans aucun signe, symptôme ni antécédent de cancer du poumon. D’âge compris entre 55 et 74 ans, ils ont déclaré avoir un passé tabagique de 30 paquets-années au minimum (les paquets-années sont le résultat de la multiplication du nombre moyen de paquets de cigarettes fumées quotidiennement par le nombre d’années pendant lesquelles une personne a fumé). Les participants ont été répartis par tirage au sort en deux groupes égaux, ont bénéficié d’un examen annuel (RP ou ScT) pendant trois ans et, ensuite, ont fait l’objet d’un suivi pendant 3,5 ans.
Les auteurs résument ainsi le résultat principal de l’essai NSLT : “nous avons observé une réduction de 20% de la mortalité par cancer du poumon dans le groupe ScT par rapport au groupe RP.” L’éditorialiste traduit ce pourcentage en nombres absolus : “il y a eu 247 décès par cancer du poumon pour 100 000 personnes-années de suivi après un dépistage par ScT et 309 décès par cancer du poumon pour 100 000 personnes-années de suivi après un dépistage par RP”. Les auteurs lancent néanmoins un avertissement : “bien que des agences et des organismes sanitaires envisagent d’établir des recommandations en matière de dépistage du cancer du poumon sur la base des résultats de l’essai NSLT, les données actuelles du NLST ne nous semblent pas, à elles seules, suffisantes pour prendre des décisions d’une telle importance.”
L’analyse détaillée des données permet de comprendre cette mise en garde. On apprend ainsi que, sur la série des trois examens, en moyenne 24,2% des résultats étaient positifs avec le ScT et 6,9% avec la RP. Dans les deux groupes, la majorité des résultats positifs ont conduit à des examens complémentaires permettant de confirmer ou d’infirmer la suspicion d’un cancer du poumon: dans le cas d’anomalies détectées par ScT, 96,4% étaient en réalité des cas faussement positifs (94,5% pour la RP).
Ces taux élevés posent un problème classique dans le dépistage des cancers : le surdiagnostic. Comme l’explique l’éditorialiste, “un surdiagnostic a lieu quand un examen détecte un cancer qui, autrement, serait resté occulte parce qu’il aurait régressé spontanément, parce qu’il n’aurait pas progressé ou parce que le patient décède avant que le cancer soit diagnostiqué.” Le surdiagnostic est un problème parce que “tous ceux qui ont un cancer détecté par dépistage sont traités alors que certains n’en ont pas besoin.” La période de suivi des participants inclus dans l’essai NLST n’est pas suffisamment longue pour conclure définitivement mais, d’après le regard de l’éditorialiste, “l’essai NLST a probablement engendré du surdiagnostic dans le groupe ScT”. En revanche, les données permettent de quantifier précisément le taux de complications consécutives aux examens complémentaires qui, le plus souvent, sont de nature invasive. Selon les auteurs, ces taux sont faibles: “dans le groupe ScT, 0,06% des examens positifs non suivis d’un diagnostic de cancer du poumon et 11,2% d’examens positifs suivis d’un diagnostic de cancer du poumon ont été associés à une complication majeure à la suite d’une procédure invasive.” De fait, “un total de 16 participants du groupe ScT (dont 10 avaient un cancer du poumon) et 10 du groupe RP (tous atteints d’un cancer du poumon) sont décédés dans les 60 jours suivant un examen complémentaire invasif.”
Au-delà de l’analyse en termes de mortalité par cancer du poumon, les auteurs ont également procédé à une analyse des effets du dépistage par ScT et RP sur la mortalité globale. Cette analyse fournit un éclairage plus nuancé sur les bénéfices apportés par le ScT : “il y a eu 1 877 décès dans le groupe ScT et 2 000 décès dans le groupe RP, ce qui représente une réduction significative, due au dépistage par ScT, de 6,7% du taux de décès toutes causes confondues.”
En plein accord avec les auteurs, l’éditorialiste suggère aux décideurs de ne pas se précipiter dans l’interprétation de ces résultats et, notamment, “de surveiller les analyses coût-efficacité des données de l’essai NLST, d’attendre l’analyse des données sur une plus longue période de suivi pour estimer l’ampleur du surdiagnostic dans le NLST et, peut-être, l’identification de biomarqueurs spécifiques des cancers ne progressant pas.”
Enfin, dans un communiqué du National Cancer Institute, Christine Berg explique que, “si ces résultats de l’essai NLST offrent des perspectives intéressantes sur les possibilités de réduire la mortalité par cancer du poumon, la méthode la plus importante demeure à cet égard l’arrêt du tabagisme par les fumeurs et, pour les non fumeurs, la poursuite d’un comportement sain.”