Penelope Fillon, de l’ombre à la lumière
La plus effacée des femmes d’homme politique se retrouve, à son corps défendant, au coeur de la bataille présidentielle.
Penelope vient de la terre et des roses, des vastes prairies parsemées de vieux clochers, du rugby et du thé. La campagne galloise et sa « gentry » lui ont tout appris, à vivre comme une héroïne de roman, entourée d’animaux et de jolis enfants, et à se mettre à l’abri les jours de gros temps.
Au creux des montagnes noires galloises se niche la vallée du fleuve Usk. George Colin et Glenys Clarke, les parents de « Penny », forment un couple mixte, comme on dit ici, l’un est anglais, l’autre galloise… A Abergavenny, une bourgade de 10 000 habitants, Colin est avocat et membre du Rotary Club. Un notable respecté, qui prénomme Penelope Kathryn sa fille née le 31 juillet 1955, dix ans avant le « Penny Lane » des copains de Liverpool.
D’inspiration victorienne, la maison des Clarke compte 21 pièces. Les enfants sont cinq, Penelope, Jane, Kim, Sara et Jason. L’aînée rejoint le collège public, King Henry VIII, où elle brille en cours de français. Son professeur, Alan Breeze, la décrit même comme une élève aux capacités impressionnantes. Elle continue à étudier la littérature à la faculté de Londres. Puis c’est le grand départ. Pour parfaire son français, Penelope a décroché un job d’assistante dans un lycée du Mans. Un dîner avec des amis, un peu de musique… L’histoire commence.
François n’est pas du genre à chanter la sérénade. « Je m’en souviens très bien, mais ça n’a pas été un coup de foudre… », a raconté Penelope ensuite. Le Sarthois rejoue « A nous les petites Anglaises », succès de l’époque, et multiplie les allers-retours au pays de Galles. Au printemps 1980, Joël Le Theule, ministre des Transports, dont François est devenu l’assistant parlementaire, les marie à l’hôtel de ville de Sablé-sur-Sarthe. François Fillon vient de finir son service militaire, et il a adhéré au RPR. Elle vient de terminer ses études de droit. Deux mois plus tard, au pays de Galles, c’est en queue-de-pie et haut de forme que François l’épouse religieusement, couronne de fleurs sur ses cheveux longs. Elle est anglicane mais se convertit bientôt au catholicisme. Dans cette église du XIIe siècle, la scène se répète quatre ans plus tard, avec une nouvelle distribution. Cette fois, le père Clarke tient à son bras sa deuxième fille, Jane, tombée sous le charme de Pierre, un des frères de François Fillon. Une double alliance qui donne naissance à un clan : les deux sœurs, très proches, suivent leurs époux en France.
François Fillon n’est encore qu’un politique local, dédié à sa terre, conseiller général, puis élu député en 1981. Son épouse s’en satisfait, sans imaginer un avenir plus ambitieux. A cheval l’après-midi, à l’église le dimanche. Georges Brassens l’a chanté dans une triste ballade : « Toi l’épouse modèle/ Le grillon du foyer/ Toi qui n’as point d’accrocs/ Dans ta robe de mariée/ Toi l’intraitable Pénélope… » Elle reçoit ses voisins, participe aux activités de l’école, chante dans la chorale à la messe de minuit et rend visite aux patients des maisons de retraite. Une rôtisseuse en fonte trône dans sa cuisine, stigmate britannique, comme le cheddar dans le garde-manger. A Sablé, les Noëls se passent à la mode galloise. Une fois, on organise une fête déguisée sur le thème de Shakespeare. La politique est un marronnier qui fleurit à l’approche des élections. On tracte, on serre des mains, on applaudit dans les meetings. Penelope joue le jeu, toujours au dernier rang, « pour pouvoir s’échapper », dit-elle.
Cette réserve est aujourd’hui ce qui la perd. Comment expliquer que l’on a travaillé quand on a cultivé si longtemps la discrétion ? L’épouse est souvent seule à la maison, son Ulysse à l’Assemblée. A 45 ans, elle met au monde un cinquième enfant, Arnaud. Et la vie repart. Les Fillon vivront désormais à Paris, rive gauche, dans le VIIe arrondissement, cette enclave fortunée qui leur va si bien, paisible et austère. Lui devient ministre, elle s’occupe du bébé. Elle se met au yoga, se rend au théâtre et monte à cheval à l’Ecole militaire. En 2003, elle confie dans le livre d’Elisabeth Chavelet « Leurs femmes… elles aussi ont du pouvoir », au chapitre « Les gardiennes du foyer » : « Mon rôle est simple, lui créer une ambiance de calme et de sérénité. » Penelope raconte comment, chaque jour, elle choisit la cravate de son mari. Il est aux Affaires sociales, mais « je ne me suis jamais posé la question des retraites », avoue-t-elle. Et de comparer avec le Royaume-Uni : « Encore récemment, quand un candidat britannique arpentait sa circonscription, sa femme l’accompagnait. […] Il était très mal vu qu’elle travaille. Chez les travaillistes, on préfère que les femmes aient un job, comme Cherie Blair. » « Je ne suis pas comme Cherie Blair », répète-t-elle plus tard.
Penelope au stand de crêpes, incognito. « Je serais horrifiée que l’on me reconnaisse. »
Le 17 mai 2007, Penelope la discrète est forcée de se montrer. Dans une veste en lin froissée, le visage sans maquillage, elle affronte les caméras sur le parvis de l’hôtel de Matignon, les épaules courbées. « Je n’y arriverai pas. Cette vie n’est pas pour moi », confie-t-elle à une proche venue visiter son nouveau domicile, cet hôtel particulier du XVIIIe siècle où s’installent ses trois fils cadets. Commence un quotidien de réceptions et de voyages officiels. Penelope parvient à vaincre sa peur de l’avion pour accompagner son mari en Chine. Elle porte talons et robes longues lors des dîners d’Etat. On la voit aux défilés Christian Dior, aux premières de théâtre, aux concerts des Rolling Stones et de Leonard Cohen. Elle apprivoise Paris et la vie politique. « Penelope a tout compris du monde dans lequel elle évolue. On ne la lui fait pas », dit le député Bernard Debré qui loue son « humour délicieusement british ». « Dans ce monde qui peut s’avérer cruel, j’ai gardé mes distances, tempère l’intéressée dans une interview. Sans doute parce que je suis anglaise. » Carla Bruni se souvient d’une journée passée dans sa villa du cap Nègre. « Je l’ai trouvée réservée. Du calme et de la gentillesse, voilà ce qu’elle dégageait », se rappelle-t-elle. « A Matignon, elle s’implique, discrètement comme toujours, sur les questions de l’autisme et sur les sujets culturels, surtout le théâtre », explique Myriam Lévy, conseillère en communication du Premier ministre de l’époque. Penelope accompagne chaque matin son fils Arnaud à l’école privée Sainte-Clotilde et retrouve d’autres mères dans un café de la rue de Grenelle. Parmi elles, Sybille de Montlaur, dont le mari, Arnaud, en charge pendant la primaire de la collecte des fonds pour Fillon, est artisan du rapprochement avec les mouvements cathos de La Manif pour tous. Elle peut, avec elle, parler des enfants autant que de politique. Leurs époux ont fait campagne ensemble ; elles animent la kermesse de l’école, Penelope au stand de crêpes, incognito. « Je serais horrifiée que l’on me reconnaisse. » Elle se voudrait fantôme, silhouette floue heureuse à l’ombre, si éloignée du métier politique. Elle a repris ses études, s’est inscrite en lettres à l’université. « Mes enfants ne me connaissent que comme mère, mais j’ai un diplôme de français et je suis avocate ! Je voulais leur montrer que je ne suis pas stupide », explique-t-elle d’une toute petite voix sur la vidéo de la journaliste du « Sunday Telegraph ».
Le 16 mai 2012, c’est une femme changée qui quitte Matignon, en tailleur de soie bleu nuit. La voici libre à nouveau. Les enfants ont grandi, plus rien ne l’occupe. Elle accepte la proposition du maire de Solesmes et devient conseillère municipale. Elle choisit de présider deux commissions : la sécurité et le fleurissement. « Ce n’est pas faire de la politique que d’être au conseil de Solesmes, précise-t-elle, en 2016, dans le journal local. Je n’ai pas d’autres ambitions ou vues. […] Conseillère me suffit largement ! » Mais la campagne des primaires la rattrape. Elle devient la marraine des comités Les femmes avec Fillon, fondés par Muriel Réus, avec qui elle part à la rencontre des Françaises. Penelope défend la protection de l’enfance, l’égalité entre les sexes, s’inquiète de la monoparentalité. « Comprendre que les femmes doivent assumer plusieurs rôles, en étant parfois seules, ça lui parle, raconte Muriel Réus. Elle ne demandait rien, elle refusait même qu’on lui commande un taxi pour rentrer le soir. » Et repart souvent en bus, dans son Burberry. Pas de privilège. La surprise n’en sera que plus grande lorsque l’on apprend que cette femme aux principes apparemment stricts aurait touché plus de 900000 euros brut pour un emploi fictif. « Au fil des déplacements, elle s’est détendue, poursuit Muriel Réus. Elle s’est rendu compte à quel point les femmes étaient heureuses de la rencontrer. Ça l’a convaincue qu’elle jouait un rôle nécessaire. » De là à rêver de l’Elysée… « Je ne peux pas imaginer y vivre. […] On s’y sent comme dans un hôtel caverneux », dit-elle dans « The Times ».
Depuis les révélations du « Canard enchaîné », Muriel Réus n’a plus revu Penelope, elles échangent par téléphone. Les déplacements ont cessé. Mais rue Cler, près de son domicile parisien, les commerçants continuent à servir la mère de famille. Saladin, son vendeur de légumes bio, la défend : « C’est une dame très serviable. Tout ce scandale a été inventé. » Dans la librairie de quartier qu’elle fréquente assidûment, elle confiait, en décembre, à l’écrivain Vladimir Fédorovski espérer pouvoir se rendre à Saint-Pétersbourg avec François, consciente que son élection les en empêcherait. Elle ne s’est pas exprimée publiquement sur l’affaire. Sa discrétion naturelle l’empêcherait-elle de se défendre ? A trop être effacée, on manque d’arguments pour prouver son activité. « Penelope est prête à parler, mais pour l’instant je ne suis pas pour, explique François Fillon à Paris Match le 16 février. C’est à moi de monter en première ligne. » Et Brassens chantait : « C’est la face cachée/ De la lune de miel/ Et la rançon de Pénélope/ Et la rançon de Pénélope… »
ParisMatch