Une foule immense crie son refus de toute implication des anciens fidèles de Bouteflika dans la transition politique

Une foule immense a de nouveau envahi le centre d’Alger et les principales villes d’Algérie vendredi, le premier depuis le départ du président Abdelaziz Bouteflika, pour dire désormais leur refus de toute implication de ses anciens fidèles dans la transition politique.

Confronté à une contestation populaire inédite déclenchée le 22 février et très affaibli depuis un AVC en 2013, M. Bouteflika, 82 ans , a démissionné mardi après 20 ans passés au pouvoir.

Déterminés à se débarrasser du "système" dans son ensemble, les Algériens sont à nouveau descendus très massivement dans la rue, pour le septième vendredi consécutif.

D’imposants cortèges ont défilé à Oran, Constantine et Annaba, 2e, 3e et 4e villes du pays, ont rapporté des journalistes de médias algériens sur place.

L’agence de presse officielle APS a recensé des manifestations dans 41 des 48 régions, rendant compte de façon inédite des slogans très hostiles au pouvoir.

L’essentiel des manifestations sont terminées et le gigantesque rassemblement d’Alger se dispersait progressivement peu après 19H00 (18H00 GMT). Aucun incident n’a été signalé à travers le pays.

"On ne pardonnera pas!", ont notamment scandé les manifestants, en référence à la lettre d’adieu mercredi du chef de l’Etat, dans laquelle il a demandé pardon aux Algériens.

Arrivé tôt de Boumerdès près d’Alger, Said Wafi, 42 ans, employé d’une banque publique, voulait "être le premier manifestant contre le système. Le départ de Bouteflika ne veut rien dire si ses hommes continuent à gérer le pays".

"Bouteflika était très malade, il ne gouvernait pas en réalité et rien ne changera s’il part seul et laisse ses hommes", renchérit Samir Ouzine, étudiant de 19 ans.

Avec sa démission, le néologisme "vendredire", inventé par les contestataires et signifiant "manifester joyeusement", a acquis sur les réseaux sociaux, un sens supplémentaire: "faire chuter un régime dictatorial pacifiquement".

Appel au départ des "3B"

"La démission du président ne signifie pas qu’on a eu réellement gain de cause", avait expliqué dans une vidéo sur internet, l’avocat Mustapha Bouchachi, une voix de la contestation, appelant à faire de vendredi "un grand jour". Message reçu.

Les protestataires ont appelé au départ des "3B", Abdelkader Bensalah, Tayeb Belaiz et Noureddine Bedoui, trois hommes-clés de l’appareil mis en place par M. Bouteflika et à qui la Constitution confie les rênes du processus d’intérim.

Président depuis plus de 16 ans du Conseil de la Nation (chambre haute), M. Bensalah est chargé par la Constitution de remplacer le chef de l’Etat pour trois mois, le temps d’élire un successeur lors d’une présidentielle.

Tayeb Belaiz, qui fut durant ces 16 ans ministre, préside le Conseil constitutionnel, chargé de contrôler la régularité du scrutin.

Le Premier ministre Noureddine Bedoui était jusqu’à sa nomination le 11 mars le très zélé ministre de l’Intérieur et aux yeux des manifestants l’"ingénieur en chef de la fraude électorale et ennemi des libertés", comme l’a qualifié le quotidien francophone El Watan.

"S’en tenir à la Constitution", et confier l’intérim et l’organisation des élections à des hommes incarnant le système, "va probablement susciter pas mal de protestations", estime Isabelle Werenfels, chercheuse associée à l’Institut allemand pour les Affaires internationales et de Sécurité.

A la place, les manifestants appellent à la mise sur pied d’institutions de transition à même d’engager des réformes et d’organiser des élections libres.

"L’armée et le peuple sont frères"

"L’après Bouteflika n’est pas clair. La rue et les partis" d’opposition "appellent à une nouvelle Constitution, une nouvelle loi électorale", souligne Hamza Meddeb, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Institut universitaire européen de Florence. L’Algérie entre dans "la phase la plus délicate".

Grand vainqueur de son bras de fer avec l’entourage de M. Bouteflika, qu’il a contraint in fine à quitter le pouvoir, le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée, apparaît comme l’homme fort du pays.

Mais, souligne Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, "la rue est devenue le nouvel acteur dans la vie politique algérienne" et "on ne connaît pas grand-chose des intentions de l’armée concernant la gestion de l’après-Bouteflika".

D’autant que le général Gaïd Salah est lui aussi largement perçu par les manifestants comme un homme du "système" Bouteflika qu’il avait fidèlement servi depuis sa nomination en 2004.

"L’armée et le peuple sont frères", ont scandé les manifestants vendredi à Alger, mais plusieurs pancartes hostiles au général Salah ont également été vues par des journalistes de l’AFP ou relayées sur les réseaux sociaux.

"Nous voulons recouvrer notre liberté, notre souveraineté. (…) J’espère vivre assez longtemps pour vivre la démocratie dans mon pays", confie Saïd Zeroual, 75 ans, les larmes aux yeux.

Cet espoir a, pour l’heure, fait renoncer Zoubir Challal à tenter, comme de nombreux Algériens, de traverser la Méditerranée à la recherche d’un avenir meilleur. La pancarte que ce chômeur de 28 ans porte dit: "Pour la première fois, je n’ai pas envie de te quitter mon pays".

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite