Snowden : Washington sur les nerfs

Du «délire», des «sornettes», tonne Vladimir Poutine. «Inacceptable» et «sans fondement», s’indignent les Chinois. Du «calme», implore le ministre américain des Affaires étrangères, John Kerry, après avoir lui-même attisé les braises. Par la malice d’un informaticien de tout juste 30 ans, Edward Snowden, le monde entier semble sens dessus dessous : cet Américain cherche refuge de dictature en dictature, tandis que celles-ci se moquent de «l’espionnage» américain…

Le jeune Snowden, qui travaillait comme contractant pour la National Security Agency (NSA), chargée de l’espionnage électronique, est bien arrivé à l’aéroport Cheremetievo de Moscou, a confirmé hier pour la première fois Vladimir Poutine lui-même. Snowden s’y trouve «libre» et ne sera pas extradé, a asséné le président russe, défiant ainsi ouvertement les Etats-Unis qui réclament leur espion. Avec son humour d’ancien agent secret, Poutine a souhaité bon vent à son visiteur : «Plus vite il choisit sa destination finale, mieux ce sera pour nous et pour lui-même.» En cavale depuis le 20 mai, d’abord à Hongkong où il a fait ses premières révélations sur les écoutes systématiques pratiquées par la NSA, puis donc à Moscou, Edward Snowden a remis une demande d’asile à l’Equateur. Ce pays, qui héberge déjà le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, dans son ambassade à Londres, a déclaré étudier la demande de Snowden.

Visiteur. Les services russes ont très certainement profité de l’escale d’Edward Snowden à Moscou pour l’interroger et examiner les ordinateurs qu’il transporte avec lui, s’accordaient hier plusieurs experts américains. A Hongkong, les journalistes qui l’avaient rencontré avaient indiqué que l’espion avait emporté quatre laptops, recelant des milliers de documents secrets, internes aux services de renseignement américains. «Moi-même, si j’étais à leur place, je copierais tout ça», confiait hier Philip Mudd, ancien haut responsable de la CIA, pour qui il ne fait pas de doute que les services russes ont voulu débriefer leur visiteur avant de le laisser poursuivre son chemin. Si humiliant soit-il pour les Etats-Unis, le refus chinois puis russe de livrer Snowden est aussi «logique» et même «attendu», rappellent les vétérans des services américains. En sens inverse, les Etats-Unis auraient certainement fait pareil, accueillant eux-mêmes des «dissidents» russes ou chinois.

«Amateur». Il est également regrettable que l’administration Obama n’ait pas réussi à gérer l’affaire Snowden plus discrètement et se soit laissé aller au vitriol dans ses échanges avec ses «partenaires» chinois et russes, soulignent ces mêmes analystes. «Je me demande si M. Snowden a choisi la Chine et la Russie en tant que grands bastions de liberté d’Internet, pour l’aider à fuir la justice», s’est moqué lundi le secrétaire d’Etat américain John Kerry, menaçant aussi la Chine de «conséquences» pour avoir laissé filer le jeune homme. «Les critiques des Etats-Unis contre le gouvernement chinois sont sans fondement. La Chine ne peut pas les accepter», a rétorqué hier la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying. «Je voudrais conseiller à ces personnes de prendre un miroir, s’y regarder et s’occuper d’abord de ce qui se passe chez eux», a-t-elle poursuivi. Une allusion aux reproches passés et récurrents des Etats-Unis qui, jusqu’aux dernières révélations de Snowden, accusaient la Chine d’espionner et pirater leurs entreprises, de défense surtout. Hier, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est aussi lâché contre les «accusations» et mêmes les «menaces» que les Etats-Unis auraient proféré pour tenter, en vain, de récupérer leur agent. «Toutes les accusations à l’encontre de la Russie sont du délire et des sornettes», a repris Vladimir Poutine peu après, depuis la Finlande où il était en visite.

L’«amateurisme» de Barack Obama en politique étrangère trouve ici sa plus belle illustration, persiflent déjà les républicains, rappelant que le président démocrate avait promis une «relance» de sa relation avec Moscou qui débouche sur cette nouvelle humiliation. «Le brutal mais résolu Poutine ne pouvait pas rêver de mieux qu’un amateur indécis comme Barack Obama», attaque Peter Wehner, ancien conseiller des administrations Reagan et Bush, sur le site du magazine Commentary. La Maison Blanche espère que les étapes chinoise et russe du jeune homme le déconsidéreront aux yeux de l’opinion américaine. Mais d’autres scoops sont à suivre, a promis le journaliste Glenn Greenwald, qui a publié les premières révélations de Snowden.

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