Paris-Alger, le retour du passé

Le passé colonialiste de la France en Algérie est de nouveau l’objet de tensions entre Paris et Alger. A l’origine des débats, une proposition de loi déposée par un député algérien et visant à « criminaliser le colonialisme français ». Dans l’Hexagone, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer un tel projet. Les relations franco-algériennes devraient une nouvelle fois s’en trouver dégradées.

Paris-Alger, le retour du passé
A la France le rôle positif de sa politique de colonisation, à l’Algérie sa criminalisation. Le 23 février 2005, l’Assemblée nationale votait une loi inscrivant le rôle positif de la colonisation française dans les manuels scolaires. Après un âpre et long débat, l’alinéa était finalement supprimé début 2006. Mais les anciennes colonies françaises n’ont pas oublié. Très critique à l’époque, notamment via son président Abdelaziz Bouteflika – qui avait qualifié la loi de "cécité mentale, confinant au négationnisme et au révisionnisme", l’Algérie pourrait adopter en réponse une loi visant à criminaliser le colonialisme.

En effet, le député algérien Moussa Abdi, du Front de libération nationale (FLN, majoritaire à l’Assemblée, et formation du président Bouteflika), a déclaré dimanche avoir déposé le 13 janvier dernier "une proposition de loi criminalisant le colonialisme français". Ce texte aurait d’ores et déjà recueilli les signatures de 125 députés de différents partis. Et Moussa Abdi d’espérer qu’il sera "adopté par le Parlement à l’occasion de la session du printemps". Pour le député algérien, il ne s’agit pas simplement d’un terme symbolique. "Nous envisageons de créer des tribunaux spéciaux pour juger les responsables de crimes coloniaux ou de les poursuivre devant les tribunaux internationaux", a-t-il en effet expliqué, disant vouloir "absolument faire la lumière sur le passé colonial et établir un devoir de mémoire". Pour cet élu, l’enjeu est de taille: "C’est pour nous le préalable pour rebâtir nos relations avec la France."

Ce n’est pas la première fois que ce genre d’initiative voit le jour en Algérie. Fin 2007, le président Bouteflika était personnellement intervenu pour désavouer le groupe de vétérans de la guerre d’indépendance, dont le ministre des Anciens combattants, Mohamed Cherif Abbas, qui demandaient à Paris de reconnaître les "crimes" du colonialisme en Algérie. Si depuis la polémique sur le "rôle positif" de la colonisation, la France a clairement critiqué le système colonial – lors d’une visite en Algérie en décembre 2007, Nicolas Sarkozy avait ainsi fermement dénoncé un système "injuste par nature" et évoqué des "crimes" perpétrés des deux côtés -, le président de la République, a, à maintes reprises, refusé toute idée de "repentance".

Besson "regrette", Chatel et Kouchner calment le jeu
Le sujet est sensible et ne laisse pas indifférent de l’autre côté de la Méditerranée. Plusieurs voix se sont en effet élevées en France pour dénoncer un tel projet. Le ministre de l’Immigration, Eric Besson, a dit mardi sur RMC "regretter" et "déplorer" le dépôt de cette proposition de loi. Le député UMP Thierry Mariani a lui aussi fait part de son "incompréhension" et de son "indignation". "Sous couvert d’enjeux de pouvoir internes, c’est à mon sens non seulement ceux, rapatriés, qui ont vécu aux côtés du peuple algérien jusqu’en 1962 que l’on insulte, mais aussi, avec l’ensemble de l’armée française, les harkis que l’on méprise et que l’on injurie une nouvelle fois", a-t-il ainsi estimé lundi. De son côté, le secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens combattants, Hubert Falco, a jugé "cette initiative particulièrement inquiétante, incompréhensible [et] outrancière".

Mais la prudence reste de mise, histoire de ne pas fâcher Alger, tant l’histoire récente des relations franco-algériennes a été marquée par de longues périodes de refroidissement. "Il s’agit d’une proposition de loi qui n’a pas été débattue par l’Assemblée algérienne et sur laquelle le gouvernement algérien ne s’est pas prononcé (…) il faut donc se garder de tout procès d’intention à l’égard de l’autorité algérienne", a ainsi précisé Hubert Falco mardi à la tribune de l’Assemblée nationale, ajoutant toutefois que ladite autorité "ne saurait cautionner une charge anti-française aussi outrancière, profondément blessante, insultante pour nos compatriotes rapatriés et pour notre mémoire nationale".

Même réserve du côté de Bernard Kouchner. Le ministre des Affaires étrangères a insisté sur le fait que le texte n’était "encore qu’en phase de conception et ne fait l’objet d’aucun soutien de la part des Algériens", jugeant "prématuré" pour le gouvernement français de prendre position. Luc Chatel a également rappelé mercredi que Paris n’entendait pas "interférer sur le déroulé du fonctionnement du Parlement algérien". Ironie du sort, cette affaire intervient alors que les députés français viennent tout juste de ratifier la convention franco-algérienne signée à Alger le 4 décembre 2007 et qui prévoit de renforcer la collaboration des deux côtés de la Méditerranée.

Source:JDD

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