Maroc: l’abracadabrante histoire du directeur du site Yabiladi privé de carte de presse

Narjis Rerhaye (A Rabat)

« Demain à midi rdv au @MincomMa pour dénouer cette situation kafkaïenne. Merci à tous pour votre mobilisation, messages de soutiens, et celles et ceux qui se sont activés en coulisses pour régler le problème. Eternelle reconnaissance ». Mohamed Ezzouak, le directeur du site d’information Yabiladi, en faisait l’annonce, dans la soirée de dimanche 6 mai, sur sa page facebook. Une solution allait être trouvée ce lundi 7 mai au ministère de la communication pour que le directeur de ce site aux 7,7 millions de visiteurs mensuels obtienne sa carte de presse laquelle lui ouvre la voie à une mise en conformité légale de Yabiladi.

Fondé en 2002 et installé au Maroc depuis 2007, Yabiladi a failli disparaître. Faute de carte de presse, son directeur qui emploie une quinzaine de personnes s’apprêtait de faire le voyage à l’envers et de s’installer en France pour que son site principalement destiné aux Marocains du monde continue d’informer. Ce faisant, il « échappait » à l’accusation brutale et soudaine du ministère de la communication : exercice d’une profession réglementée sans autorisation !

« Je me suis installé au Maroc en 2007. Je n’ai jamais éprouvé l’irrépressible besoin de demander cette carte professionnelle, à l’instar de nombreux journalistes et directeurs de publication. Mais depuis le 15 août 2017 et l’application du nouveau code de la presse, les sites d’information se voient dans l’obligation de faire leur déclaration au tribunal pour leur mise en conformité. Pour ce faire, le tribunal exige du directeur de publication plusieurs documents, dont un diplôme Bac+3 au minimum ET une carte de presse. C’est ainsi que je me suis retrouvé au ministère de la Communication pour demander ma carte professionnelle. Le secrétaire général, Mohamed Ghazali, m’assurait qu’une solution allait être trouvée. Même ton rassurant chez M. Tahani, qui règne sur la commission d’octroi des cartes de presse. «Déposez votre demande demain, vous aurez vos cartes après-demain !» Exécution : Dépôt du dossier, traversée du désert de plus de 6 mois, et… rien ! Aucun de ces deux responsables ne me contactera pour m’annoncer le refus. Il faudra que j’appelle M. Ghazali, jeudi dernier, pour enfin avoir une confirmation officielle.

«On ne peut pas vous octroyer de carte de presse, ni à vous, ni à vos journalistes, car votre support n’a pas obtenu la mise en conformité du tribunal.» Or, le tribunal exige pour cela que le directeur de publication ait une carte de presse. Tournez en rond jusqu’à l’infini, aucune issue à ce dilemme de l’œuf ou de la poule. Kafka au triangle des Bermudes !
», témoigne Mohamed Ezzouak dans un éditorial mis en ligne dimanche soir. Ironie de l’histoire, M. Ezzouak faisait partie de la commission en charge de réfléchir à la réglementation de la presse électronique.

Interpellé sur twitter le chef de gouvernement a réagi. « Bonjour, je vais veiller à les contacter et voir quel est le problème » tweetera Saadine Elotmani dans la journée de dimanche 6 mai.

Il a fallu l’intervention du chef de gouvernement et de « personnes qui se sont activées en coulisses » pour dénouer une situation kafkaienne, trouver une solution à l’absurde et éviter un énième dérapage lié à la gestion de la presse en terre marocaine. Deux hauts fonctionnaires du ministère de la communication ont eu droit de mort sur un site d’information au professionnalisme reconnu de tous. Ils se sont accrochés à des arguties drapées de juridisme. Quant au ministre de la communication (et de la culture), il a préféré regarder ailleurs. Il aurait pu éviter que l’image de l’exercice du journalisme au Maroc a de nouveau été écornée alors que Rabat continue d’être mal classé sur le tableau de l’état de la liberté de presse.

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