Makri, l’islamiste « modéré », à l’assaut de la présidence algérienne

Ce week-end, le Mouvement pour la société de la paix (MSP), branche algérienne des Frères musulmans, a annoncé sa participation à la présidentielle du 18 avril avec son président, Abderrezak Makri, comme candidat.

Ce parti, qui se veut première force d’opposition du pays malgré des déconvenues aux dernières législatives qu’il attribue à la « fraude électorale », semble persister dans sa volonté de peser sur l’après-avril 2019. « Remarquez bien que Makri parle d’entrer en concurrence, et non pas de gagner la présidentielle », souligne un journaliste algérois. Sauf si le chef islamiste compte sur la non-participation du président sortant, Abdelaziz Bouteflika, qui bouclera ses 82 ans début mars, affaibli par la maladie. « Il est insensé de parler de cinquième mandat », déclarait d’ailleurs Makri samedi dernier. « Même les personnes les plus proches du président ne savent pas encore s’il va se représenter à la présidentielle », appuie-t-il. D’où tient-il cette information qui refléterait le désarroi du cercle présidentiel ?

Le MSP, autrefois allié, se rebiffe

Le 17 janvier, le quotidien arabophone El Khabar publiait un document interne au parti révélant que Makri était entré en contact avec les représentants de la présidence algérienne, essentiellement avec le frère conseiller Saïd Bouteflika, courant décembre, afin de proposer le report de la présidentielle. Selon le document, il aurait senti qu’un cinquième mandat du chef de l’État, au pouvoir depuis 1999, allait être « gênant pour les proches du président à cause de la détérioration de la santé de Bouteflika ».

Cela fait presque vingt-quatre ans que le MSP refusait de participer à la présidentielle, ayant conscience, comme la majorité de la classe politique, que les résultats étaient déjà décidés par le système. Le MSP avait, surtout depuis la présidentielle de 2014 qui offrit un quatrième mandat à un président dans l’incapacité de faire campagne, radicalisé ses positions face au système.

Le mouvement devint même, à cette époque, une des locomotives de la Coordination pour les libertés et la transition démocratique (CLTD), qui réussit à réunir un large spectre de l’opposition algérienne. Mais elle fit long feu quand Makri décida de prendre ses distances avec ce regroupement pour mener, en solo, une « série de consultations », y compris avec des représentants du pouvoir.

Abderrezak Makri dans la course

La perspective des législatives de mai 2017 avait fortement pesé dans les choix du MSP. « Nous ne pouvons pas nous permettre de rester dans une position de retrait total des institutions », nous expliquait à l’époque un député du parti islamiste. « La politique de la chaise adoptée par certains grands partis de l’opposition n’a fait que renforcer les partis du pouvoir à tous les échelons de la représentation. » D’autant qu’au sein du MSP une longue tradition « participationniste », que d’autres qualifient d’« entrisme » reste proéminente.

Les positions radicales de Makri ont même failli pousser des ténors du MSP à quitter leurs postes, dénonçant les ruptures idéologiques avec le fondateur du mouvement, le cheikh Mahfoud Nahnah, véritable théoricien de l’équilibre entre opposition et pouvoir. En juin 2014, Makri a dû hausser le ton face à son éternel rival et ex-président du MSP, Bouguerra Soltani, qui voulait participer aux consultations menées par le directeur de cabinet de la présidence de l’époque, Ahmed Ouyahia, sur la réforme de la Constitution. « Makri a beaucoup peiné pour faire oublier que son parti avait participé à des gouvernements sous Bouteflika et que le MSP faisait partie, aux côtés des partis du pouvoir (le FLN et le RND), de l’alliance présidentielle entre 2004 et 2012 », rappelle un ancien ministre.

Luttes internes

Aujourd’hui, « quitte à jouer l’opposition utile, faisons-le à notre avantage », confie un cadre du MSP, qui précise que la participation à la présidentielle ne sert pas à crédibiliser une élection qui s’apparente à une formalité pour valider un mandat à vie pour Bouteflika. « Notre participation vise à faire connaître notre programme pour sauver le pays de la crise politique, économique et sociale », se défend un autre cadre du MSP.

Pourtant, à l’intérieur même de la formation islamiste, Bouguerra Soltani tient à se démarquer publiquement de la démarche de Makri. L’ancien ministre, connu pour ses ambitions politiques et ses accointances avec des cercles du pouvoir, a rendu publique une déclaration, la veille de l’officialisation de la candidature de Makri, expliquant que « le flou qui entoure cette présidentielle n’encourage aucun sérieux prétendant à se porter candidat ».

Il précise même que sa décision de ne pas se porter candidat du MSP a été prise à la suite de consultations « individuelles » avec de hauts responsables de l’État. « Makri était obligé d’y aller », analyse un connaisseur du parti. « Il devait faire barrage à Bouguerra et même aux autres leaders islamistes d’autres partis qui se revendiquent comme représentants légitimes de la mouvance Frères musulmans. L’enjeu est de s’imposer, pour l’opinion nationale et surtout pour l’étranger, comme le véritable interlocuteur des Frères musulmans étatiques, comme Erdogan et compagnie. »

Par Adlène Meddi, à Alger
Le Point

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