Les « gilets jaunes », un tournant dans le quinquennat Macron

La crise inédite des « gilets jaunes » marque un « tournant » pour le quinquennat d’Emmanuel Macron, qui cherche à calmer la colère populaire sans donner l’impression de céder, une gageure selon des observateurs.

Le chef de l’Etat a choisi de rester pour l’instant silencieux malgré la pression qui ne cesse de monter.

Ce mutisme est assumé : il s’agit de laisser le temps au Premier ministre Édouard Philippe de recevoir les représentants des partis politiques lundi et une délégation de "gilets jaunes" mardi.

"Emmanuel Macron a raison de ne pas s’exprimer car pour l’instant son discours est inaudible. La seule façon pour lui de se faire entendre est d’annoncer des mesures fortes, concrètes et immédiates" en réponse aux demandes des protestataires, estime Philippe Moreau-Chevrolet, expert en communication politique.

Ce pourrait être l’annonce de l’annulation de l’augmentation de la taxe sur les carburants prévue début 2019, mais aussi des prochaines hausses des prix de l’électricité et du gaz, selon lui.

En revanche, une initiative d’ordre politique – telle qu’une dissolution, un remaniement ou un référendum – réclamée par l’opposition, ne satisfera pas la majorité des "gilets jaunes", estime le politologue.

"Plus le temps passe, plus le prix politique sera élevé" pour l’exécutif, avertit Bruno Cautrès, du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po). "Mais on peut se poser la question de sa capacité à avoir la bonne compréhension de ce qu’il se passe", souligne-t-il.

Emmanuel Macron est connu pour ne pas aimer réagir sous la pression et privilégier la réflexion sur le long terme. Avec, comme fil conducteur, la nécessité de "garder le cap" politique qu’il avait fixé durant la campagne.

Le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a ainsi de nouveau fustigé lundi ces dirigeants qui "sont élus sur un programme et qui, six mois après, font l’inverse", ce qui a entraîné une "perte de confiance profonde" des Français envers la classe politique depuis des décennies.

"déni"

Une telle attitude relève aujourd’hui "du déni", selon Philippe Moreau-Chevrolet. "Elle n’est plus tenable alors qu’Emmanuel Macron est devenu plus impopulaire que François Hollande et que son socle politique est si faible, avec une majorité inexpérimentée et sans réseaux locaux", estime l’expert.

"A un moment, on ne peut pas gouverner contre le peuple", a mis en garde vendredi François Bayrou, le patron du MoDem et partenaire de la majorité.

De plus en plus d’élus de La République en marche exhortent aussi le pouvoir à se montrer plus attentif aux préoccupations quotidiennes des Français. "Nous avons été certainement trop lointains, trop technocrates, trop sûrs de nous, trop sourds parfois", a reconnu samedi Stanilas Guerini, le nouveau patron du parti présidentiel.

Certains estiment que l’exécutif a trop tardé, comme l’illustre le peu d’enthousiasme suscité l’annonce par Emmanuel Macron d’une "grande concertation de terrain sur la transition écologique et sociale", rassemblant associations, élus et "représentants des gilets jaunes" pour élaborer des "solutions" dans les trois mois.

Cette crise marque "un tournant dans le quinquennat" car "la méthode bonapartiste qui a réussi au début pour lancer les réformes n’est plus adaptée", souligne Philippe Moreau-Chevrolet. "C’est la fin d’une expérimentation politique sans précédent dans l’histoire politique française. Et très franchement on entre dans l’inconnu".

Dans un éditorial publié en première page, le directeur du Monde Jérôme Fenoglio voit aussi le "point de bascule du quinquennat" et avertit qu’il sera "difficile" pour Emmanuel Macron de sortir du "piège" sans "amender en profondeur" son mode de gouvernance. Celle-ci n’a "pour l’heure en rien interrompu le cycle délétère des détestations successives des présidents en place".

Bruno Cautrès relève toutefois que le chef de l’Etat "a déjà réussi des choses étonnantes" et qu’il "a le talent pour rebondir". "Le temps politique est toujours plein de rebondissements", souligne-t-il.

Mais certains proches de la majorité ne cachent pas être "très inquiets" car "cette crise porte en germe les prémices du populisme". "La phase est enclenchée", s’alarme un conseiller du pouvoir.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite