Israël : Arabes ou Juifs, ils votent contre leur camp traditionnel

Ni affiches, ni panneaux. En périphérie de la ville arabe de Shefa Amr, dans le nord d’Israël, rien n’annonce le meeting qui a lieu dans le restaurant en plein-air, caché au fond d’un verger.

Ce n’est qu’une fois l’entrée franchie que les slogans deviennent visibles, en arabe et en hébreu.

Ce soir-là, des candidats du parti "Bleu-blanc" de Benny Gantz, ancien chef de l’armée et principal rival du Premier ministre Benjamin Netanyahu vont à la rencontre des électeurs issus de la minorité arabe qui représente près d’un cinquième de la population israélienne, à majorité juive.

En Israël, c’est souvent la communauté qui dicte les choix dans l’isoloir. Les Arabes israéliens votent pour les députés arabes, les Juifs pour les partis sionistes. Mais certains se posent la question de voter pour le "camp adverse" le 17 septembre prochain.

Dans le restaurant près de Shefa Amr, quelque 300 personnes s’installent dans la douceur du crépuscule.

Joumaa Masri, T-shirt noir et yeux clairs, filme le meeting, assis près de la tribune.

Lui, va voter pour la liste "Bleu-blanc" pour la deuxième fois cette année, après les élections d’avril qui n’avaient pas réussi à déboucher sur un gouvernement.

"Voter pour la +Liste unie+ (les candidats arabes), ça ne sert à rien !", juge-t-il. Son but ? "Dégager Netanyahu", le Premier ministre au pouvoir depuis plus de dix ans. Et "seul (Benny) Gantz est en mesure de le faire".

Certains de ses amis commentent la vidéo du meeting qu’il diffuse en direct sur les réseaux sociaux: "Qu’est-ce qui t’arrive ?", "Ce n’est pas pour toi" ou encore "Le chef de Bleu-blanc a versé du sang palestinien", en référence à Benny Gantz qui était chef d’état-major lors de la guerre de Gaza en 2014.

A la tribune, les candidats attaquent M. Netanyahu ou promettent plus de développement dans les zones arabes en Israël, mais ils n’évoquent pas les Territoires occupés ou le conflit israélo-palestinien.

En face, peu d’applaudissements, un seul drapeau israélien timidement hissé au fond, la foule écoute mais ne participe pas vraiment.

"Je n’ai pas voté aux dernières élections", explique Rabab Hajaj, 26 ans, hijab rose pâle assorti à sa chemise fleurie. "Mais j’avais besoin de venir voir ce qu’ils avaient à dire", dit-elle.

"On essaie, et si ça marche pas, on les renverra à la maison !", juge de son côté Naame Waleed, 51 ans. Lui vote "pour plus d’égalité" entre Arabes et Juifs.

Descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d’Israël en 1948, les Arabes israéliens représentent environ 20 % des neuf millions d’habitants du pays. Ils s’estiment victimes de discriminations et dénoncent la volonté de l’actuel gouvernement de les traiter comme des "citoyens de seconde classe".

Beaucoup n’iront pas voter. D’autres estiment que la seule chance qu’il leur reste est de s’unir avec les sionistes pour faire tomber Benjamin Netanyahu, qui a fait voter la loi sur "l’Etat-nation", selon laquelle Israël est avant tout l’Etat du peuple juif.

"Voter avec la minorité"

"Contre le courant antidémocratique et contre l’apartheid", Meron Rapoport pense au contraire qu’il faut renforcer la présence arabe au Parlement.

Dans son appartement à Tel-Aviv, il reçoit ce soir-là un petit groupe d’électeurs autour d’Ofer Cassif, seul candidat juif de la Liste unie, l’alliance des partis arabes et communiste.

"Le minimum que je puisse faire, c’est de voter avec la minorité", juge-t-il, "pour mettre fin à l’occupation (israélienne des Territoires palestiniens) et créer un Etat palestinien".

Selon lui, quelque 5.000 électeurs juifs ont donné leur voix aux deux listes arabes lors des élections d’avril. Une toute petite minorité.

Dos à la fenêtre, lunettes rondes et polo blanc, Ofer Cassif défend son programme : "38 % des propositions de lois concernant les questions sociales ont été déposées par la Liste unie", rappelle-t-il à la dizaine de curieux venus l’écouter.

Yael Agmon a voté pour lui en avril dernier. Mais cette fois-ci, Ofer Cassif et son parti, Hadash, qui défend un programme communiste, ont rejoint la grande alliance des partis arabes, où figurent des candidats nationalistes arabes et des islamistes.

"Je suis à gauche, pas nationaliste ou islamiste", souligne la jeune fille de 21 ans aux cheveux roses. "Je vais quand même revoter pour eux cette fois, mais avec moins d’enthousiasme".

A côté, Guli Dolev précise : "Je ne vote pas pour eux parce qu’ils sont Arabes. Cette politique des identités fracture la société".

"Je leur donne ma voix pour secouer le pays. Parce que ces dernières années, en Israël, les choses ont vraiment mal tourné".

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