Barrage en Ethiopie, inquiétude sur les rives égyptiennes du Nil

Dans l’ombre mouchetée d’un arbre, Mohamed Omar rejoint d’autres cultivateurs égyptiens parmi lesquels un débat rage. Son objet est de déterminer qui arrosera son champ en premier, alors que l’eau en provenance du Nil se fait rare.

"Mon champ est à sec depuis des jours. J’ai besoin d’eau avant que d’autres ne se servent", dit Omar, 65 ans, installé dans un petit village de Guizeh, au sud-ouest du Caire.

"Nous dépendons de l’eau du Nil, qui est particulièrement insuffisante l’été", ajoute ce producteur de légumes devant ses rangées d’épinards et de choux.

Le fleuve fournit 97 % des besoins en eau de l’Egypte et ses rives abritent 95 % des quelque 100 millions d’habitants du pays, selon les Nations unies.

L’Egypte souffre d’une crise de l’eau liée notamment à la surpopulation. De 35 millions en 1970, la population du pays est passée à environ 100 millions aujourd’hui.

S’ajoute à cela le changement climatique et la pollution due aux eaux usées et aux déversements industriels.

L’inquiétude grandit en conséquence sur les rives égyptiennes du Nil, alors que l’Ethiopie a annoncé son intention de produire, en amont, de l’électricité à partir de 2020 depuis le Grand barrage de la Renaissance (GERD).
Menace existentielle

L’Egypte voit ce barrage, dont la construction s’achève bientôt, comme une menace existentielle qui pourrait gravement réduire ses ressources en eau. L’Ethiopie assure que la part égyptienne ne sera pas affectée.

"Cela signifiera la dévastation pour nous et nos terres agricoles. Comment va-t-on pouvoir conserver notre activité ?", s’emporte Ahmed, un jeune cultivateur de 23 ans à Guizeh.

Lundi, l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie, ont lancé de nouveaux pourparlers au Caire.

Plus long fleuve au monde, le Nil sert d’artère vitale en Afrique de l’Est pour les 10 pays qu’il traverse.

"Il faut parvenir à un accord. Sinon l’Egypte sera face à des risques économiques et sociaux insurmontables", estime Hani Raslan, du Centre Al-Ahram pour les études politiques et stratégiques au Caire.

Terres asséchées, agriculture en baisse et difficulté à produire de l’électricité depuis le barrage d’Assouan (sud), figurent parmi ces risques, selon lui. "Et cela pourrait finalement se traduire par une crise politique et de l’instabilité".

Selon les hydrologues, le niveau de pénurie est atteint lorsque les ressources passent en dessous de 1.000 m3 par personne et par an.

La part de l’Egypte a atteint 570 m3 en 2018 et devrait descendre à 500 m3 d’ici à 2025, selon les chiffres officiels.

Ces dernières années, le gouvernement a pris des mesures en faveur de la sauvegarde des ressources en eau du pays, dont l’installation de robinets économiseurs d’eau dans les lieux publics, le recyclage ou encore la diminution des cultures gourmandes en eau comme le riz.

L’Egypte a également signé des contrats avec la société américaine Fluence Corp pour la construction d’usines de dessalement, selon la compagnie.

Trouver un accord

L’Ethiopie a lancé la construction de son barrage en 2011 et souhaite commencer à produire de l’électricité d’ici à la fin 2020, avant d’être complètement opérationnel à l’horizon 2022.

Neuf années de négociations entre l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan n’ont jusque-là abouti à aucun accord.

Le mois dernier, les trois pays se sont entendus à Washington pour poursuivre les pourparlers au sujet des points de désaccord sur le remplissage du réservoir et le fonctionnement du barrage.

Le Caire réclame un minimum annuel garanti de 40 milliards de m3, ce à quoi l’Ethiopie n’a pas donné son accord.

Lors de leur rencontre à Washington, en présence de la Banque mondiale et d’observateurs américains, ils se sont donné jusqu’au 15 janvier 2020 pour aboutir.

"Le calendrier qui s’accélère et la présence d’observateurs rend davantage possible la conclusion d’un compromis", estime William Davison, analyste au cercle de réflexion International Crisis Group.

L’Ethiopie juge ce barrage de quatre milliards de dollars indispensable pour son développement économique. Le Soudan juge le projet bénéfique car le barrage fournirait de l’électricité et contribuerait à réguler les crues du fleuve.

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