Au procès du volet financier de l’affaire Karachi, jusqu’à sept ans de prison requis

"Une véritable entreprise de prédation" du pouvoir politique en marge de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995: le parquet de Paris a requis lundi jusqu’à sept ans de prison au procès du volet financier de l’affaire Karachi, décrivant un circuit de rétrocommissions illégales sur des ventes d’armement.

"C’est la première fois qu’une affaire de financement politique aussi grave est jugée par un tribunal correctionnel", a lancé l’un des deux procureurs, Nicolas Baïetto.

Pour l’accusation, les pots-de-vin, alors légaux, versés à des intermédiaires pour des contrats d’armement signés en 1994 avec l’Arabie Saoudite (Sawari II) et le Pakistan (Agosta) ont donné lieu à des rétrocommissions illégales qui ont contribué notamment à financer la campagne malheureuse de l’ancien Premier ministre en 1995.

"Certains des plus hauts fonctionnaires de l’Etat se sont livrés à une véritable entreprise de prédation (…) notamment pour financer la campagne du candidat Balladur", a déclaré le magistrat.

Six prévenus sont jugés depuis trois semaines pour abus de biens sociaux, recel ou complicité: un industriel, trois politiques et deux intermédiaires.

Il leur est reproché d’avoir floué deux entités détenues par l’Etat: la branche internationale de la Direction des constructions navales (DNCI), qui vendait des sous-marins au Pakistan, et la Sofresa, qui vendait des frégates à l’Arabie Saoudite.

Selon les procureurs, le pouvoir politique a imposé à la DCNI et la Sofresa des intermédiaires "inutiles" dans ces contrats, le "réseau K", à des conditions financières "anormales". Dans son "intérêt": faire revenir une petite partie des commissions versées à ce réseau vers les comptes de la campagne Balladur.

Les magistrats ont tenté de clarifier les circuits de l’argent en égrenant "les contacts qui se nouent", les "conditions exorbitantes" accordées au réseau, les voyages en Suisse de l’un de ses membres, Ziad Takieddine…

Selon eux, les 10,25 millions de francs en liquide versés sur les comptes de la campagne Balladur juste après sa défaite proviennent de M. Takieddine, un "retour d’ascenseur" envers les Balladuriens qui lui ont permis de s’enrichir en l’imposant dans les contrats d’armement.

– "Trésor de guerre" –

Les prévenus réfutent tout financement politique. Mais si Jacques Chirac avait décidé, après son élection, l’arrêt des commissions litigieuses, c’était bien "pour tarir le trésor de guerre des Balladuriens", ses frères ennemis, a insisté le deuxième procureur à l’audience, Jérôme Marilly.

Le parquet a requis trois ans d’emprisonnement dont 18 mois ferme contre Dominique Castellan, alors patron de la DCNI.

Contre l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, également jugé pour fraude fiscale et blanchiment, cinq ans de prison avec mandat de dépôt ont été requis.

Excédé, M. Takieddine a interrompu à plusieurs reprises les procureurs.

"Vous m’attaquez pas! a-t-il lancé à Nicolas Baïetto.

– Ah si, Monsieur, je suis payé pour ça, je soutiens l’accusation…"

A l’encontre de son ancien associé Abdul Rahman Al Assir, absent du procès, le parquet a demandé sept ans et un mandat d’arrêt.

Cinq ans, dont deux avec sursis, et des amendes ont été requis contre Renaud Donnedieu de Vabres, alors proche collaborateur du ministre de la Défense François Léotard, et Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet d’Edouard Balladur à Matignon.

M. Donnedieu de Vabres est notamment jugé pour avoir imposé le "réseau K". Et M. Bazire, aujourd’hui l’un des dirigeants du groupe de luxe LVMH, pour avoir, en tant que directeur de la campagne Balladur, téléguidé l’arrivée des 10,25 millions sur le compte de la campagne.

Enfin, contre Thierry Gaubert, alors au ministère du Budget et impliqué dans la campagne Balladur, quatre ans, dont deux ferme, et 100.000 euros d’amende ont été requis. L’accusation estime qu’il a profité des "largesses" de son ami Takieddine, mais n’a "pas pu faire le lien" avec la campagne Balladur.

MM. Balladur et Léotard seront jugés ultérieurement devant la Cour de justice de la République.

Le procès ne dira pas si l’arrêt du versement des commissions est la cause de l’attentat de Karachi en 2002, thèse défendue par les familles de victimes: c’est l’objet d’une enquête antiterroriste toujours en cours.

La défense plaide à partir de mardi.

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