Algérie : « La relève du mouvement pour la défense des droits des femmes est assurée »

ENTRETIEN. Ex-porte-parole de l’Observatoire des violences faites aux femmes, Cherifa Kheddar explique pourquoi elle adhère pleinement à l’initiative des « baignades républicaines ».

La question des « baignades républicaines » a fait couler beaucoup d’encre et de salive ces derniers temps. Début juillet, sur Facebook, un groupe créé par une jeune femme lance un appel pour l’organisation d’une « baignade républicaine » à Annaba (à 600 km d’Alger). Depuis, l’initiative inédite ne cesse de susciter l’intérêt des médias entre deux controverses et débats contradictoires sur tel ou tel aspect de la question, sur le degré d’adhésion des femmes… Présidente de Djazaïrona, une association de défense des victimes du terrorisme islamiste dont elle-même fait partie, Cherifa Kheddar est très impliquée dans les questions liées au genre et à la défense des femmes. Dans cet entretien, elle situe les enjeux de son combat.

Le Point Afrique : Des femmes ont appelé à des « baignades républicaines » durant cet été. En quoi consiste exactement cette initiative inédite ?

Cherifa Kheddar :
Des jeunes femmes ont lancé un appel via un groupe créé sur Facebook pour se rendre à la plage en groupe et se baigner en bikini, tout simplement. Au-delà du ras-le-bol qu’elles voulaient exprimer, elles cherchaient à se réapproprier l’espace public qu’elles occupaient autrefois sans avoir à se demander de quelle façon elles devraient le faire et quel genre de tenue adopter pour la baignade. Pour elles, il s’agissait surtout d’occuper un lieu de manière pacifique et intelligente. Cela va au-delà du simple fait de porter un bikini. C’est un ensemble que des jeunes femmes issues d’Annaba ont voulu tout bonnement dénoncer : l’exclusion de cet espace public et le fait de se sentir redevable d’une quelconque explication quant à la façon de l’occuper. Cette initiative nous renseigne sur la détermination de ces femmes à vivre dans leur pays librement sans avoir à subir le poids d’une religiosité offensive et quelquefois violente, même si elle reste au stade verbal.

Ce mouvement fait également partie de la lutte contre l’extrémisme religieux ?

Absolument ! Cette initiative a été lancée à la suite d’un appel diffusé sur les réseaux sociaux par des intégristes qui ont demandé aux hommes de prendre en photo les femmes en bikini et les diffuser sur les réseaux sociaux. Leur objectif était d’intimider et faire pression sur les femmes récalcitrantes et leurs hommes « qui les laissent se dénuder ». Ils voulaient pousser les femmes à abandonner le maillot à la suite de la diffusion des photos sur les réseaux sociaux. (Certaines femmes peuvent subir des violences dans leurs familles si leurs photos en bikinis sont diffusées sur Internet, NDLR). Au début des années 1990, les femmes non voilées subissaient les violences et étaient victimes d’assassinats, parce qu’elles ont fini par constituer une minorité visible devenue facile à traquer après la soumission de la majorité au diktat islamiste.

Pourquoi cette initiative vous rappelle-t-elle aussi la décennie noire du terrorisme ?

Cette initiative m’a d’abord rappelé le mouvement de résistance au port du voile imposé aux femmes par les islamistes. Elle m’a également rappelé les assassinats des femmes qui ont courageusement refusé de se plier à cette nouvelle violence. Des dizaines de femmes ont payé de leur vie ce rejet pendant la décennie noire du terrorisme que l’Algérie a vécu isolée. Au moment où on défendait pacifiquement nos idéaux avec les moyens du bord, les intégristes disposaient de moyens financiers et médiatiques colossaux, en plus du soutien d’une partie de l’Occident, État et ONG.

Que pourrait, concrètement, apporter une telle initiative pour le combat pour les droits de femmes en Algérie ?

La loi n’interdit pas la baignade en bikini. Cette initiative sert à rappeler que les droits des femmes acquis au prix fort sont consacrés pour qu’on puisse en jouir. Se rendre sur une plage et éviter de porter un maillot de bain ou se sentir obligé de rester sur le sable, le bikini dans le sac, à rêver de partir se baigner à Ibiza ou Palma n’est pas une solution pour les petites bourses. Celles qui ont les moyens de partir le font. Il fallait donc réfléchir à une action républicaine et franchir le pas. Cela a été fait par ces jeunes femmes exceptionnelles. Résister à une situation de fait demande donc un peu de temps et beaucoup de courage. Et chaque pierre apportée à l’édifice des libertés individuelles et collectives doit être saluée et encouragée. Ce sont ces luttes de femmes et d’hommes qui donnent aujourd’hui à l’humanité une chance d’avancer vers un monde qui respecte l’humain dans toute sa diversité.

Ce mouvement fait le buzz sur les réseaux sociaux et à l’étranger. En Algérie, il n’est pas très suivi. Comment expliquez-vous cela ?

La médiatisation de cette initiative nous renseigne sur le poids des réseaux sociaux qui ne cesse de croître en Algérie, aux dépens des médias lourds, au moment où ces derniers ignorent de pans entiers de la société. Ils le font au profit d’un discours intégriste qui finira par créer une minorité à abattre. Ce fut le cas il y a quelques décennies. Cela étant dit, il ne faut pas oublier que cette initiative a rassemblé quelque trois mille femmes sur Facebook. Ces membres ne se trouvent pas forcément au même endroit ou dans la même ville d’où l’absence de grands rassemblements de femmes en bikini sur nos plages. Ces jeunes femmes exploitent les moyens qu’elles ont à leurs dispositions. Personnellement, j’adhère complètement à cette initiative même si je n’en fais pas partie parce qu’elle me rassure. Je me dis que la relève du mouvement pour la défense des droits des femmes est assurée.

Le Point
Propos recueillis par Amayas Zmirli, à Alger

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